Quatre ans après le choc Le fils de Saul encore présent dans toutes les mémoires, le cinéaste hongrois László Nemes signe avec Sunset son deuxième long-métrage. Il y suit la destinée d’Irisz Leiter dans un empire Austro-Hongrois qui s’effrite.
Fin des années 1910. Irisz Leiter cherche du travail dans la chapellerie qui porte son nom, autrefois tenue par ses parents. Tandis qu’elle se heurte à l’hostilité des nouveaux propriétaires qui ne veulent pas l’embaucher, elle apprend avec stupeur qu’elle aurait un frère dont elle ignore tout de son existence. Autour d’elle, les personnages parlent d’un fils caché. Sans réellement savoir si elle peut se fier aux rumeurs, ni même par où commencer, elle se lance pourtant dans une quête désespérée afin de le retrouver.
Ce parallèle avec le précédent film de László Nemes n’est pas le seul (dans Le Fils de Saul, un père se battait pour récupérer la dépouille du garçon en qui il avait cru reconnaitre son propre fils) et c’est sans grande surprise que nous retrouvons dès les premières minutes, le style visuel du réalisateur. Nemes confirme l’esthétique ainsi que le procédé filmique qui nous avait marqué dans son premier film, mais dans Sunset, cette volonté de nous époustoufler affaiblit parfois sa mise en scène.
En cela, certaines séquences sont prisonnières d’une scénographie trop appuyée lorsqu’un personnage surgit dans le cadre d’une manière soi-disant impromptue pour tirer Irisz d’un mauvais pas. Mais le reste du temps, toute l’efficacité du suivi à l’épaule d’Irisz vient confirmer la maîtrise technique du hongrois, qui fait de son personnage féminin le centre de gravité de sa nouvelle œuvre. Irisz aimante la caméra, elle est au centre de presque tous les plans et lorsqu’elle ne l’est pas, la caméra vient à elle ou bien elle vient à la caméra, qui panote brièvement avant de la retrouver.
L’immersion est garantie puisqu’elle nous est de toute façon imposée. Et à nouveau lorsque les éléments se déchaîneront autour d’elle, cela passera avant tout par un remarquable travail sonore. Le choix de garder les arrières-plans floutés étant conservé et notre imagination toujours titillée sur ce qu’il se passe hors-champ, nous pouvons désormais parler d’un “style Nemes” qui persiste et se déploie pour venir casser un classicisme auquel cette histoire se serait plus volontiers soumise.
À l’aube de la Première Guerre, László Nemes dépeint la métamorphose
d’une femme au crépuscule d’un empire, marqué par la cruauté humaine.
L’odyssée d’Irisz au cœur de l’austérité Austro-Hongroise est marquée par la cruauté, la faiblesse humaine et la perte de nombreuses valeurs civiles alors que tout un monde est en train de s’écrouler. À l’aube de la Première Guerre, c’est bel et bien le crépuscule d’un empire, puis sa chute que László Nemes autopsie. Son cinéma, toujours aussi intéressant, se veut plus exigeant et mute vers quelque chose qui commence à ressembler, toutes proportions gardées, à l’œuvre de Luchino Visconti, de par cette manière d’observer le destin de ses personnages au cœur d’une période historique pleine de changements et autres bouleversements.
Dans Le Guépard (1963), le prince Salina ne comprenait plus les règles du milieu dans lequel il vivait et le regardait décliner. Le point de vue choisi par Nemes pour Sunset s’y oppose : Irisz va apprendre à changer et à évoluer en même temps que le monde alentour. C’est aussi pour cela que Sunset, malgré des défauts nés d’une certaine ressemblance avec le précédent film du réalisateur, est également un magnifique portrait de femme, fort et désenchanté.
Si le final n’est pas aussi audacieux que celui du Fils de Saul et bien que le tout soit assez déprimant à parcourir (beau certes, mais aussi déprimant), nul doute que nous nous souviendrons de cet ultime travelling avant, qui marque la métamorphose d’une époque en même temps que celle d’une femme.
Loris Colecchia
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