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Cette proposition est susceptible de heurter la sensibilité des spectateurs n'ayant pas vu le Sunset (2019), mais également celle de ceux qui l'ont vu. D'ailleurs, rappelons-le ici : la subjectivité, même si elle peut être partagée, est un agencement personnel du sens-critique



Une promesse manquée



Après le film éprouvant Le fils de Saül (2015), László Nemes livre son second long-métrage Sunset (2019). Il est fréquent de prétendre que tout est dit dans un premier film. Comme annonciateur d'une suite, c'est dans celui-ci que s'affirme le style du réalisateur. Les thèmes, les cadrages, les lumières, les musiques s'y agencent comme une promesse, au lendemain incertain, faite au spectateur. En somme, le premier film, est un chant du cygne, avant même que tout ne commence. Mais il est tout aussi fréquent de soutenir que tout se dégrade dans le second film. Le réalisateur ne doit plus seulement s'affirmer, il doit se confirmer en s'appuyant de nouveau sur ce qui a fait son succès. Il respecte alors, parfois artificiellement, une recette - Us (2019) est l'exemple le plus récent de ce plantage. Ici, le problème réside dans l'intrigue. Pourtant le scénario est tout à fait intéressant : Appréhender l'Histoire avec un grand « H » à partir de la microstoria d'un personnage lambda. Le réalisateur a fait le choix de changer d'échelle afin d’assister au plus près à l'autodestruction d'une civilisation. Une histoire par le bas donc, dans laquelle le spectateur est placé au plus près de l’héroïne – tant physiquement que mentalement – et partage ainsi ses interrogations et ses doutes. Caméra rivée sur la nuque, partie intégrante du visage selon le philosophe Lévinas, le réalisateur délivre toute la vulnérabilité du personnage. En outre, il déploie tout un jeu autour des reflets, des voiles, des flous, des fenêtres et des portes closes qui sont des obstacles à la résolution de l'enquête. Eh bien malgré cela, le film peine à accrocher son spectateur, c'est une recherche qui devrait le placer dans la même ambition fiévreuse que le personnage principal pour découvrir la vérité, mais en réalité plus le film avance, plus notre désintérêt grandit.



Une esthétique de la contemplation



Le réalisateur hongrois réutilise sa grammaire cinématographique : la caméra à l'épaule, les sur-cadrages, les personnages filmés de dos, les jeux d'ombres et de lumières. Alors certes, cette esthétique travaillée rassure, il reste un beau papier cadeau, mais à son ouverture le présent déçoit. Certes, László Nemes et son équipe, à travers la pellicule, accordent une attention précieuse à la lumière, à la photographie et aux décors, mais au détriment du reste. Ainsi, en s'attardant trop sur la forme, le réalisateur semble oublier le fond et perd en rythme quant à l'évolution de son récit. Parlons franchement, on s'ennuie terriblement et cela malgré la compréhension de l'intrigue, du contexte historique, de l'état d'esprit des personnages, rien n'y fait. La dernière fois que j'avais ressenti cette morosité, c'était devant deux films de Benoît Jacquot - Les adieux à la reine (2012) et Le journal d'une femme de chambre (2015). Ainsi en dépit de l'agitation ambiante, le spectateur ressent une sensation de torpeur, de langueur. Le film est mou rythmiquement parlant et oblige le spectateur à la contemplation. Pourtant, il développe un travail intéressant autour des contrastes. De couleurs d'abord entre la noirceur et le désordre des bas-fonds de la pègre d'un côté et la clarté et l'ordre de la chapellerie de luxe. Là, c'est un travail vraiment sensoriel sur les textures, les couleurs, les odeurs. Il joue également sur un contraste rythmique entre la lenteur raffinée du centre-ville de Budapest et le dynamisme anarchique des quartiers périphériques de la ville. Un jeu intéressant qui ne réussit pourtant pas à conjurer les problèmes de rythme inhérent au métrage. On me reprochera peut-être de ne pas avoir saisi la finesse et la poésie du film, au contraire ! Cependant, la subtilité est tellement surplombante au propos du film, qu'elle sort littéralement du cadre. On comprend ce qu'il veut transmettre mais on ne le reçoit pas. En somme, pourquoi en faire un film ? Les motivations du personnage sont claires mais elles ne sont pas intéressantes et on n'en comprend la portée magistrale qu'à la fin du film et donc peut être trop tardivement.



Le final salvateur



C'est dans ce dernier plan que Sunset, quelque peu abscons, prend tout son sens. Il se dévoile après près de deux heures et demie d'ennui. En effet, c'est dans cet ultime plan, sûrement le plus beau et le plus limpide de la proposition, que la microstoria rejoint l'Histoire. Dans celui-ci, le spectateur débouche après un travelling au fond d'une tranchée, sur un dernier regard-caméra puissant du personnage principal. Du luxe des chapelleries, on passe à la boue des tranchées et la kisasszony troque sa robe pour l'uniforme de guerre. Il illustre parfaitement les aboutissants des agitations internes qui ont gangréné l'empire austro-hongrois et met alors le spectateur face à la fin de la Belle Époque et son entrée dans l'horreur. Par cette conclusion, László Nemes met en scène avec brio, et peut être tardivement, le crépuscule d'une civilisation.


« Il faut tourner chaque film comme si c'était le dernier » (Ingmar Bergman)

Moodeye
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le 25 mars 2019

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