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Cette proposition est susceptible de heurter la sensibilité des personnes qui n'ont pas visionné le film, mais également celle des personnes qui l'ont vu
L'image comme seule ambition
Créer des images, des impressions indélébiles gravées dans l'esprit du spectateur, est sûrement l'ambition la plus claire affichée par Jordan Peele dans son film Us : des ombres méphistophéliques de la famille griffées sur le littoral sablé de la plage, aux silhouettes bestiales des antagonistes plongées dans une semi-pénombre. Alors oui, cette esthétique léchée que le réalisateur cultive depuis Get-Out (2017), par des plans symétriques, des angles et des travellings très travaillés, cela fonctionne mais un problème résiste. Le problème, c'est que ces images apparaissent parfois comme des enseignes commerciales clinquantes qui s'intègrent mal au paysage. En somme, le réalisateur donne parfois l'impression de greffer accessoirement ces images au film, sans forcément les inclure. Pire encore, il semble se contenter de surfer sur les représentations déjà implantées dans l'imaginaire du spectateur - les yeux exorbités, le sourire figé, la tête désaxée, le rire mécanique - pour les réactiver. Il reprend à son compte une imagerie de l'angoisse, comme celle des parcs d'attractions, des abords de lacs, des laboratoires, qui est bien rodée. Dans ce sens, il n'invente pas, ni ne réinvente mais il s'approprie ce qui donne à mon sens une impression de déjà-vu, quelque peu caricaturale contrairement à son précédent film. Citons aussi It follows (2014), Nocturnal animals (2017) et Heriditary (2018) plus subtiles et plus innovants selon moi, et qui réussissent quant à eux à créer de véritables moments qui glacent durablement le spectateur, là où Us se limite à une oppression éphémère très vite évacuée notamment par le rire.
Le rire comme anesthésiant
Le spectateur quand il est plongé dans un film intense, qu'il soit d'horreur, d'action, de catastrophe, etc., apprécie les moments de flottement et de détente qui ponctuent le métrage. Prenons une métaphore. Un plongeur pour vivre un moment sous l'eau, doit remonter à la surface pour respirer avant d'y retourner, il s'accorde un temps de pause vital. C'est le cas dans Get-Out (2017), dans lequel les univers - milieux - sont bien distincts. Ici dans Us, ces moments sont trop fréquents si bien qu'ils se fondent diffusément dans l'ambiance tendue du film. Ce qui en fait un film hybride maladroit. Filons la métaphore. Un plongeur pour vivre un moment sous l'eau, a une autre option, qui est d'emporter une bouteille d'oxygène avec lui, et de ce fait bénéficier de l'oxygène tout en étant dans cet autre milieu. C'est cette option que le réalisateur a choisie pour Us. Dès lors Jordan Peele, issu lui-même de la comédie, ne se contente pas de distiller l'angoisse dans le rire, il anesthésie la peur par le comique. Ce qui explique en partie l'interdiction aux moins de 12 ans et non aux moins de 16 ans ce qui lui permet d'attirer les plus de spectateurs possible. En revanche, les musiques quant à elles, rattrapent ce ballottement, en soulignant l'horreur en assumant pleinement le genre. Notons ici d'ailleurs en fun fact, que Get-Out a remporté le Golden Globe dans la catégorie film musical/comédie. Celui-ci sera sûrement aussi nommé dans cette catégorie.
Le film sur-côté
Après le premier long-métrage du réalisateur, filmé avec maestria, l'attente du second était redoutable et il ne relève pas selon moi, le défi qui l'attendait malgré lui. J'ai été un peu déçu, même si, disons le trivialement : il a fait le travail. Prenons un dernier cas de comparaison éloquent entre ces deux films. Le gimmick. Exemple mémorable, la répétition lancinante et inquiétante du tintement de la cuillère dans la tasse de thé, qui hypnotise le personnage principal dans le premier film. Cela fonctionne et cela capte le spectateur. Il retente ce type de leitmotiv en vain dans le second avec la bague du fils permettant à ce dernier de faire son tour de magie. Contrairement au premier, celui-ci n'a rien d'inquiétant, il est juste énervant. Us enfin, présente des problèmes de rythme et de scénario. La première partie du film - avant l'apparition des antagonistes - est incroyablement lente et insipide. Ce n'est pas le manque d'horreur qui me faire dire ça, tant s'en faut, car ces moments où l'on plante les personnages, le cadre et l'ambiance sont indispensables. Le problème ici, c'est que ces séquences sont destinées à rendre les personnages attachants, sinon à s'identifier à eux. Pourtant ils sont, malgré l'interprétation remarquable des acteurs et surtout celle de Lupita Nyong'o, d'une platitude incroyable aux discours creux et aux relations factices qui n'apportent rien au film. En fait, le réalisateur brasse ce qui a fait son succès avec moins de brio, moins d'inventivité et moins de finesse. Si bien que le film repose sur des rouages rouillés et des fleurs fanées, là où le spectateur attendait un renouveau. Dernière remarque, le twist final montre bien que le réalisateur a clairement perdu de sa finesse, en sacrifiant la cohérence de l'intrigue sur l'autel du spectaculaire, par un mind-fuck attendu et injustifiable. En conclusion, après avoir apporté une fraîcheur par son premier film, très vite rangé dans la case des post-horror movies qui renouvellent le genre, Jordan Peele s'essouffle en réactivant toujours les mêmes mécanismes, qui cette fois-ci ne fonctionnent pas.