Cette chronique est susceptible de divulgâcher des éléments importants de l'histoire. Je vous invite à voir le film avant de lire ce papier.
Quotidien ; Famille ; Avenir ; Réalisme ; Deuil ; Amitiés
Cassandre est hôtesse de l'air au sein d'une compagnie aérienne low-cost, basée à Lanzarote. Sans réelle ambition, elle se laisse vivre. Puis de retour dans sa Belgique natale, elle semble reprendre un nouveau souffle.
Est-il possible de filmer le banal et le quotidien sans profondément emmerder le spectateur ?
I. Le quotidien, comme source d'un profond ennui.
Au fur et à mesure de la séance, la salle bruisse, les regards confus se croisent et certains quittent même tout de go la salle de cinéma, sans laisser davantage sa chance à la proposition projetée. Le reste du parterre semble être dans l'expectative. « C'est chiant non ? » semblaient murmurer les regards dans la salle. La bave coulant sur les accoudoirs des sièges du cinéma paraissait confirmer cette impression. Je suis un homme simple. J'aime les plaisirs simples. Je vois un avion, Adèle Exarchopoulos, du rire, des voyages alors, naïf que je suis, je me dis : c'est un feel-good movie, allons-y gaiement. Que nenni ! V’là-t’y pas qu'on te colle des larmes par-ci, de la frustration sociale par-là. Ajoutez à cela du deuil et vous avez la complète. Je vais au cinéma pour RÊVER a fortiori durant une période aussi terne. Je veux sortir de mon quotidien, du monde connu pour pénétrer l'abstraction, l'imaginaire, le poétique. Bref. Mais pourquoi diable alors s'efforcer à mettre en scène cette histoire qui n'a rien d'extraordinaire. Décortiquons ça ensemble : les situations sont ordinaires, les dialogues sont ordinaires, les lieux sont ordinaires, les relations sont ordinaires. Arrêtons nous là, je pense que vous avez compris. Ce n'est pas divertissant. Pourtant, partir de situations ordinaires peut être un argument pour parvenir à l'extraordinaire. Par le registre comique (Les Nouveaux Sauvages, 2014) ; la romance (Love, 2015) ; le thriller (Jusqu'à la garde, 2017) ou encore la réflexion métaphysique (A Ghost Story, 2017). Là, le seul élément un tantinet extraordinaire que nous offre le film, ce sont les gratte-ciel dubaïotes et le spectacle qu'offre ces fontaines ringardes à leur base. Mais alors en quoi ce film-ci peut-il être intéressant ? Si, si c'est possible je vous assure. Oui, dans la mesure où le banal peut-être aussi une source d'émerveillement dans sa proximité avec le réel.
II. Le quotidien, comme source d'émerveillement cinématographique.
Néanmoins, et simultanément, cette banalité est aussi le terreau d'une certaine forme de poésie. Certaines scènes sont de véritables pépites et confèrent à la proposition une aura presque mystique. Cette scène, où les deux sœurs rentrent à pied chez elle après avoir été lâchement éconduites par le copain de l'une d'elle, est imbibée d'un lyrisme inédit. Une ballade sororale, durant laquelle on ne voit Cassandre et Mélissa qu'en ombres chinoises portées sur un ciel rouge sang. Le film est enrobé d'un voile et le temps est suspendu le temps de cette scène, grâce à des détails pourtant triviaux. Les réalisateurs convoque alors une imagerie radicalement différente qui s'éloigne d'un réalisme formel. La banalité revêt alors un caractère poétique qui stimule les interprétations du spectateur et lui offre une vraie respiration.
Toute l'ambivalence de ce film pourrait se résumer en une scène. La scène où l'opérateur téléphonique de Cassandre la contacte pour lui proposer des forfaits plus attractifs. La spectateur pourrait s'attendre à de l'énervement sinon de l'agacement du personnage principal. Un moyen d'amener de la légèreté et du rire. Pourtant, rien. On se fait tartir une fois de plus. Donc on regarde autour de nous, on se tourne les pouces et on ronge notre frein en attendant la prochaine scène. Puis progressivement, les réalisateurs prennent le spectateur à revers. L'évocation de la mère de Cassandre, décédée dans un accident de voiture, tire les larmes de cette dernière. La scène prend une toute autre tournure. Le banal devient la fenêtre d'expression de l'intime. Un judas à travers lequel le spectateur perçoit les émotions de la protagoniste et perce sa carapace. Ici, la proximité avec le réel et le vraisemblable confèrent au film une épaisseur qui peut par moment éveiller le spectateur déjà attentif et réveiller l'autre. Car le naturalisme est une prouesse. C'est à mon sens un véritable tour de force, qui n'a rien de clinquant et c'est bien là son défaut, de faire sonner juste les situations. Par exemple, j'ai adoré cette scène entre le père et ses filles sur le seuil de leur maison. Ce passage « Père Castor » comme il est dit dans le film. Une cigarette aux lèvres, le père évoque sa jeunesse, sa rencontre avec leur mère et les accouchements de cette dernière. Tous les dialogues résonnent de vérité et l'on s'identifie davantage aux personnages. Le spectateur écoute patiemment, comme s'il assistait à la scène lui-même, adossé au mur de cette maison et un verre à la main, à côté des personnages. C'est un peu comme lorsque nous sommes face à une peinture hyperréaliste et que, impressionnés par la maestria du coup de pinceau, nous nous rapprochons de la toile pour distinguer la supercherie. Tant il est compliqué de discriminer le réel de sa représentation. Par ailleurs, cette promiscuité avec le réel sert également un autre propos : la dénonciation.
III. Le quotidien, comme source de critique de notre société.
Dès lors, en singeant le style documentaire les réalisateurs estompent allègrement les frontières entre fiction et documentaire. Malgré de rares partis pris de mise en scène, notamment lors des scènes de tendresse avec Cassandre, la caméra est portée à l'épaule, tremblotante et les gros plans et plans moyens sont privilégiés. Cette différence de traitement n'est pas anodine et envoie un message clair aux spectateurs : ce que nous allons vous raconter est vrai. Cela donne d'autant plus de force au propos filmique. Ce style documentaire sert alors de porte-voix à une vive dénonciation des rythmes effrénés auxquels est soumis le personnel de cette compagnie, de la compétition entre les hôtesses, du dénigrement des employés par leurs supérieurs. Ce film met en scène cette machine-travail dont les rouages bien huilés s'imbriquent parfaitement dans le mécanisme capitaliste. Ainsi, et même si ce n'est pas à proprement parler le cœur du film, les réalisateurs portent la lumière sur ces laissés-pour-compte, interchangeables et pour qui les perspectives d'avenir sont minces. Une résonance d'autant plus forte après la crise des gilets jaunes. Le film retranscrit alors une routine, qui prend une coloration engagée quand elle est filmée à l'aune du documentaire.
En deux mots, je dirais que c'est un film intéressant mais nullement divertissant. Voilà qui est dit. Il n'empêche que derrière cette apparence légère, aux faux airs de feel-good movie, se cache une réflexion plus profonde sur le deuil et une vive critique sociale. Cela reste une proposition qui peine à s'éloigner du style documentaire qu'elle imite et qui construit péniblement une véritable proposition artistique.
« La photographie c'est la vérité, le cinéma c'est la vérité 24 fois par seconde. » Jean-Luc Godard.