Ne vous laissez pas rebuter par le titre, qui n’a en réalité rien d’un slogan. Bien au contraire ! Plutôt une façade, fragile, qui sera amenée à éclater comme une bulle de savon ; ou encore un comportement commercial et cynique, l’aspect humain, ou, à proprement parler, inhumain, de « l’horreur économique » que dénonça Viviane Forrester.
« Rien à foutre », c’est l’attitude, désinvolte, détachée, dépourvue d’ambition professionnelle comme personnelle, que semble afficher Cassandre (Adèle Exarchopoulos), hôtesse de l’air de son état dans une compagnie low-cost, « Wing », créée de toute pièce pour la circonstance par les deux co-réalisateurs, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre. Vie low-cost également, faite d’escales dans des appartements loués par la compagnie pour ses hôtesses, de soirées faussement festives et gorgées d’alcool pour noyer ce vide, d’amours voués, selon Cassandre elle-même, à une durée de deux heures… Les couleurs sont claires, pimpantes, à l’image des destinations ensoleillées de la compagnie, mais ne cherchent même plus à cacher la noirceur d’une existence déboussolée.
Ce tableau d’une vie hors-sol ne s’arrête toutefois pas à ces quelques éléments. Ce serait compter sans la subtilité du duo réalisateur et scénariste, sans ses enquêtes menées auprès du personnel navigant et le long travail de documentation qui a précédé l’élaboration du scénario. Des failles parcourent ce portrait glacé : l’aveu d’un deuil, les demandes d’amour de l’un des partenaires épisodiques, ses propres confidences concernant son effroi devant l’inexorable vieillissement d’une mère…
Traits humains, vite recouverts par l’autre « Rien à foutre », qui fait face au premier et lui donne aussitôt des airs d’auto-protection salutaire : celui de la compagnie elle-même, ses exigences toujours croissantes vis-à-vis de salariés qu’elle est toutefois prête à liquider à tout moment, au moindre écart, et sans le moindre état d’âme. Instance inflexible, qui se donne droit de regard sur tout, et pour qui l’humain n’est qu’un « aboli bibelot d’inanité sonore », puisque seul importe l’aspect économique, concurrentiel. Raisonnement d’un organisme lui aussi hors-sol, coupé de la chair qui le sert et du sol sur lequel il se pose malgré tout régulièrement, raisonnement profondément égaré dans l’immatérialité évanescente de l’argent…
À la faveur d’une rupture dans ce qui risquait de devenir une spirale infernale, le film ouvre soudain, comme par surprise, un second volet, qui achève de lester de sens le premier. On voit Cassandre quitter les soleils trompeurs et refluer vers les brumes hivernales de la maison familiale, dans une petite ville de Belgique. Elle y retrouve son père veuf ainsi que sa sœur cadette. Dans des tons sombres, ternes, lors de scènes volontiers nocturnes, ce retour aux sources sera l’occasion de se pencher sur les blessures maladroitement enfouies, de tenter d’explorer les zones laissées dans l’obscurité, même par l’enquête officielle, d’oser renouer avec les liens profonds, les liens qui accompagnent durant toute une vie. Ce n’est qu’à travers ce ressourcement que pourra advenir une renaissance, des ambitions enfin affichées, et enfin atteintes…
Pour leur première collaboration sur un long-métrage, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre signent une œuvre profondément humaine, mais qui articule, dans sa réflexion, l’humain et le social, en examinant la façon dont les détresses humaines, dans le désir de mieux se fuir, peuvent autoriser les abus de l’espace social, alors que seul un sol retrouvé pourra permettre l’envol vers les hauteurs et l’accomplissement.