Il est difficile de voir des courts métrages sur grand écran, et on est souvent bloqué par la distribution et la diffusion limité de ces courts métrages qui ne permettent pas d'être vu à des heures de grande écoute à la télé (dans le cas d'une diffusion télé), ni même d'une communication suffisante pour être mis en avant. Si l'on a vu des courts métrages d'auteurs dans de bonnes conditions, c'est qu'on les a cherché. De mon côté, mis à part Maman pleut des cordes d'Hugo de Faucompret que j'ai eu la chance de voir en salle car ayant gagné des places gratuites via un concours Instagram, ou encore Maurice's Bar, La mort du petit cheval et Gigi, que j'ai découvert lors d'une programmation à la cinémathèque française, je n'ai pas eu l'occasion de voir des courts métrages dans de bonnes conditions. Il m'a fallu suivre l'activité de la compétition court métrage du Festival d'Annecy, ainsi que l'actualité de Miyu Distribution, pour savoir quand est ce que Hurikan de Jan Saska allait être disponible France Télévision. C'est donc une chance (ainsi qu'un hasard) que j'ai pu découvrir Supersilly, sélectionné en compétition officielle dans la sélection Semaine de la Critique 2024 du Festival de Cannes, dans de très bonnes conditions, car l’œuvre exigeante, et qu'il est difficile de l'apprécier autrement.
Le film est avant tout un témoignage vis-à-vis d'une agression sexuelle incestueuse vécu par la réalisatrice, de la part de membre de sa famille proche, et la forme du film va être impacté par la gravité et la violence de l'événement. Le trait et la régularité sont proche de l'amateur, les designs s'approchent d'un coloriage un enfant en très jeune âge, et même dans l'image, on a ce sentiment de brutalité et d'instabilité constante. L'animation et la réalisation va transmettre tout une histoire et tout un sous-texte qui est tout aussi impactant voire plus que le dessin à l'image. On a comme du grain à chaque images, comme si chaque dessins étaient de véritables dessins d'enfants que l'on avait scanné et numérisé afin de les aligner et créer une animation. Cette démarche va jusque dans le montage et la réalisation même du film qui semble être impacté par la nécessité d'urgence et d'extériorisation des émotions qui est trop importante vis-à-vis de l'esthétique et de la bienséance. On a ainsi la numérotation des dessins et des calques qui sont apparents, qui se chevauchent, et semblent même influencé par l'état mentale du personnage principal qui est dans une longue et douloureuse descente en enfer. Le personnage se balade et déambule dans un monde qu'elle pense apprendre à connaitre et où elle cherche maladroitement à être aimer par ses parents, le tout à travers un regard totalement perverti par les horreurs qu'elle a vécu sous cette tente bleu. Les choix des musiques et l'ambiance générale est glaçante et profondément perturbante tant la réalisatrice propose une œuvre sans aucune retenue ni limite quant aux émotions qu'elles cherchent à libérer. On y ressent la douleur et la solitude, mais aussi toute la rancœur et la haine que peut générer ce genre de traumatisme, que ce soit vis-à-vis de ceux qui lui ont fait vivre, ou même ceux qui la regarde et ont pu la juger. Tout autour de l'action, il y a un cadre rose pastelle, doux et apaisant, qui contraste avec la violence monumentale du récit, et qui invite à plonger dans une forme de fantaisie et de féérie prétendument pour adoucir le contenu infiniment grave, mais qui ne fait qu'en ressortir toute la violence. Le court métrage s'ouvre d'ailleurs sur une parodie du logo Looney Tunes, avec Supersilly remplaçant Bugs Bunny, presque dans une forme d'ironie très noire et acerbe vis-à-vis de ce que l'on peut attendre d'un dessin animé, mais aussi des retours et des mauvais conseils qu'a pu recevoir la réalisatrice. Tout le long de son périple, Supersilly est confronté à des plaisirs de l'enfance (comme le fait de jouer à l'ère de jeu, être sur les genoux de sa mère, ou avoir un ami dans la cour de récré), et il y a toujours une forme de nécessité, voire même de fatalité irrémédiable, qui pousse à toujours voir le traumatisme malgré le plaisir. Ces derniers peuvent divertir, mais ça ne l'aide pas à aller mieux, car ils sont avant tout proposé à Supersilly pour oublier, et non pour extérioriser et comprendre ce qui s'est passé. Il y a ainsi une culture de l'irrévérence et de l'outrance, découlant d'un malêtre profond, qui pousse le personnage à ne voit le monde qu'à travers la sexualité, ainsi que d'une volonté d'être enfin écouté et comprise. L'entièreté du monde dans lequel vit Supersilly n'est constitué de référence au sexe et au corps, que ce soit des arbres sur lesquels poussent des pénis qu'on peut caresser pour en faire sortir du sperme, ou des portails aux aspects d'anus ou de vagin qu'on pénètre. Le tout n'a pour objectif que de nous mettre profondément mal à l'aise, de nous confronter hypocrisie des personnes ayant entouré la réalisatrice qui l'ont conseillé de ne pas faire attention à ce qui s'est passé alors que tout ce qu'elle avait besoin c'était d'être entendu.
Tout le film se tient sur une fine ligne que la réalisatrice arrive parfaitement à tenir, dans une démonstration de force assez bluffante de maitrise, mais qui devient de plus en plus complexe à tenir pour un spectateur extérieur. Comme dit précédemment, l'intégralité du film est fait pour mettre mal à l'aise, pour provoquer une réaction face à un récit abominable, et cela ne marche qu'à partir du moment où le spectateur accepte de s'investir dans une épopée aussi éprouvante. Pour ma part, j'ai eu la chance de découvrir ce court métrage dans les conditions d'une projection cinéma, sur grand écran, avec un excellent système son, et un public pour réagir lui aussi au film. Sur grand écran, toute la violence et l'horreur, contenu dans des dessins faussement enfantin, est démultipliée et dépasse très largement le cadre rose dans lequel elle est cantonnée. Les silences sont plus lourds, la musique y est beaucoup plus perturbante, et le final y est plus impactant lorsque, lors du générique de fin, nous sommes confronté à la source même de la douleur. Pourtant, je peux comprendre que le film puisse décevoir et être perçu comme une œuvre vulgaire dénuée de sens et d'intérêt. Le film m'ayant beaucoup travaillé depuis mon premier visionnage, mes impressions s'étant très largement bonifié au cours du temps, j'ai longtemps attendu sa mise en ligne via Arte pour pouvoir le revoir, et il était évident que ce second visionnage, via un ordinateur, a été une déception. Étant devant un écran, le film perd en puissance, l'attention n'est pas toujours là, et on est plus facilement amené à voir les ficelles qui tiennent l'ensemble. On remarque plus facilement que le grain des dessins est réalisé manuellement, donc que ce ne sont pas de vrais dessins physique que l'on a scanné, donc qu'il y a une part de faux dans le projet. Conscient de cela, le film nous parait moins pure, et on se confronte à un récit hors système qui, volontairement ou non, se conforme à des canons cinématographiques pour sa mise à l'écran. Le générique de fin, nous montrant l'origine du mal, nous parait trop sage, car (littéralement) minimisant la place du mal qui se retrouve cantonné dans un coin alors qu'il pourrait prendre une place plus centrale. Tout cela nous invite à penser (à tord) que le film cherche à brutaliser, à bousculer les codes, mais que celui-ci doit s'y rattacher de manière un peu hypocrite pour qu'on puisse l'apprécier.
Supersilly est l'exemple type de l’œuvre coup de poing, qui dérange dans le bon sens du terme, et qui n'est pas fait pour plaire. Un film sans concession qui perturbe et nous met face à la noirceur d'une vie détruite qui, à travers sa violence et sa radicalité, acquière une universalité ainsi que notre compassion. Il est évident que découvrir ce film dans de mauvaises conditions, au mauvais moment, peut très vite être éprouvant tant on peut avoir l'impression d'une œuvre exagérément vulgaire pour acquérir une fausse subversivité. C'est une œuvre venimeuse qui peut déplaire au premier abord, qui peut dégoûter mais qui, quand on l'intériorise, prend peu à peu une place grandissante et devient très vite un grand court métrage.
15/20
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