Tchécoslovaquie années 1983-1984, une jeune athlète s’entraîne durement dans un centre technique d’état. Son objectif, réaliser le minima (sur 200 m) pour représenter l’équipe nationale aux JO de Los Angelès (1984). Douée et suivie, elle devrait pouvoir être optimiste. Malheureusement, elle va être confrontée à des choix difficiles, le plus cruel étant celui de poursuivre la cure de vitamines ou bien de passer aux produits dopants. De là à dire que s’appelant Anna elle est vouée aux produits anabolisants, soyons prudents.
Un film courageux (coproduction) signé Andrea Sedlácková (née à Prague, elle avait l’âge d’Anna au moment des faits), qui évoque le système réel qui était en place en Tchécoslovaquie à l’époque. Un système qui fait froid dans le dos parce que, en y réfléchissant bien, Anna (Judith Bàrdos) n’a aucune chance de briller sur une piste olympique sans entrer dans le système en place dans son pays. Le dopage… seule solution pour s’imposer (en luttant à armes égales avec les autres), ou bien une sorte d’aveu de faiblesse ? La force du système en place donne à réfléchir. Et puis, ce serait accepter le jeu du cynisme. Exemple typique avec l’entraineur (Roman Luknár) qui ne se pose même plus la question. Tout ce qu’il voit, c’est qu’il a une place dont il s’accommode dans ce système qu’il considère comme verrouillé. Pour lui, Anna n’est qu’une pièce sur un échiquier où son expérience lui permet de savoir qu’elle peut s’illustrer brillamment. Les meilleures scènes sont probablement les séances d’entrainement, où on voit des exercices très variés d’autant plus intenses qu’Anna doit se mesurer aux performances de Marina (incitation à aller à la limite des capacités physiques, rivalité). Si le mental joue un rôle important (voir la vie affective qui, en décollant, peut donner des ailes), l’implication dans le programme « médical » ne peut pas être pris à la légère.
Pourquoi le système en place alors en Tchécoslovaquie est-il alors verrouillé ? Parce qu’il est d’une force impressionnante et parce qu’il implique quasiment tout le monde, par cercles concentriques. Il y a le cercle familial, le cercle du travail, le cercle amical, le cercle amoureux et le cercle politique (qui s’étend jusqu’en URSS). Tout étant imbriqué, la situation est inextricable et ceux qui en ont les moyens ne pensent qu’à fuir, malgré les inconvénients qu’ils vont trouver ailleurs et les nouveaux déséquilibres créés par leur départ.
Tombée amoureuse d’un charmant musicien, Anna s’inquiète parce qu’elle a un retard dans ses règles. Les règles, quelle expression ironique ici ! Que sont les règles devenues ? Peut-on se fier aux règles officielles ou bien doit-on faire avec celles édictées par celles et ceux qui sont obnubilés par la volonté de gagner ? Bien entendu, les règles et le Fair-play (titre original du film) sont bafoués dans les grandes largeurs. Au nom de l’idéal socialiste (monumentale statue de Karl Marx qui peut toujours se retourner dans sa tombe), les athlètes sont soumis à un programme contrôlé par des médecins. Anna est prise au piège, d’abord amenée à signer un engagement lors d’un rendez-vous où sa position est autant destinée à la mettre en confiance (panneau avec les anneaux olympiques, présence de son entraineur) qu’en infériorité puisque face à deux hommes dont le discours très ferme lui fait sentir qu’elle n’a pas le choix. Effectivement, l’absorption de Stromba améliore les capacités physiques et donc les performances. Manifestation d’optimisme ou première émergence de doute quand Anna dit à sa mère (Anna Geislerová) « Je suis heureuse qu’on ait pris la décision d’arrêter de perdre » ? Inoffensif le Stromba ? Naïve Anna ? Les circonstances vont lui révéler qu’elle ne peut avoir une confiance absolue ni envers sa mère (ancienne championne de tennis, contrainte de stopper net sa carrière et devenue femme de ménage), ni envers son amoureux (qui ne lui livrera ses aspirations les plus profondes que dans une lettre), ni envers Marina (Eva Josfíkova) devenue la rivale sans état d’âme, ni envers son entraineur capable de lui dire qu’il subirait personnellement des conséquences si elle cessait le programme (et de s’arranger pour qu’elle suive au besoin ce programme à son corps défendant) et encore moins le système politique dont les décisions venues de haut ne sont que logique d’appareil (le boycott des JO de Moscou en 1980 restant un affront). Il faudra une grande force de caractère à Anna pour aller au bout de son intime conviction.
Réflexion intéressante sur tout ce qu’implique l’esprit de compétition, ce film inattendu et programmé dans une période creuse retient davantage l’attention par les sujets qu’il aborde que par son traitement cinématographique. La mise en scène de la réalisatrice-scénariste (monteuse en France, notamment pour Welcome) est assez neutre et sage. Son goût pour les couleurs chaleureuses donne la curieuse impression que la Tchécoslovaquie de l’époque, ce n’était pas si terrible que ça. Les meubles font un peu vieillots mais les conditions de vie sont supportables. D’accord il faut s’accrocher pour passer un coup de téléphone vers les Etats-Unis ou pour obtenir un visa permettant de sortir du pays (vers l’ouest) et la police politique est bien présente avec des méthodes très intrusives, mais on est loin de l’ambiance (qui faisait sa force) de La vie des autres par exemple. Et puis, les contrôles anti-dopage restent loin des faits montrés, comme la compétition elle-même négligée au profit de l’entrainement.