Rares sont les films qui nouent la gorge à un point si douloureux, si brûlant, si chavirant, et les yeux pris dans l’écume, l’élégance d’un amour fulgurant transparaît dans toute sa simplicité, indicible et insurmontable. Frôlement d’un genou, silences évidents, regards à la dérobée, lumière d’un soir d’été propice aux confidences, à un rire aux éclats puis, plus tard, un col de chemise redressé, une main qui s’attarde sur une épaule, mouvement banal, tellement intime, tellement admirable dans ce qu’il exprime, dans ce qu’il va emporter les jours d’après, les âmes, les cœurs et les corps, dans ces quelques jours d’une histoire d’amour en suspens, intense parce que comptée, deux êtres face à leurs certitudes, leurs regrets, leurs désirs d’exaltation et de liberté aussi.

Eastwood ne glorifie jamais quoi que ce soit, ne s’émeut presque de rien, préfère la nuance à l’évidence, les vibrations discrètes aux violons sirupeux ; il filme avec tact et finesse, avec une modestie sensible et dans un respect absolu du spectateur et de ses personnages. Si la morale puritaine paraît sauve (Francesca retourne à sa famille), elle a pourtant tout d’une victoire déchirante à la Pyrrhus, instant d’un rêve idéal terrassé par le devoir, par une réalité devenue soudain impossible à supporter, questionnant dans la douleur le sens de nos actes et de nos responsabilités.

Cette scène superbe et tragique sous la pluie, nous l’éprouvons aussi intensément que Francesca ; nous sommes avec elle dans ce vieux pick-up et nous voudrions pouvoir lui donner tout notre courage et toute notre force pour qu’elle s’en arrache et s’enfuir au loin, pour toujours, être, respirer, vivre avec ce photographe et l’aimer à la folie, pour la vie, parce que nous rêvons tous secrètement d’un amour incomparable, flagrant, d’une telle décision irraisonnée, spontanée, si limpide et en même temps si complexe dans ce qu’elle représente dans la brièveté de l’existence.

Mélo qui s’ignore sublimement, Sur la route de Madison refuse les artifices plats de la romance poussive et stéréotypée ; le film d’Eastwood serait plutôt comme l’œuvre délicate d’un artisan (photo, musique, mise en scène, interprétation, tout est magnifique), dépouillé, humble, empreint d’un souffle pudique où chaque geste semble dicté d’abord par la retenue d’une émotion trop grande, ensuite par la nécessité de vivre sans attendre une passion foudroyante dont on sait la beauté et la fragilité.
mymp
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le 17 déc. 2012

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