« Sur la route de Madison » est une apologie du renoncement. Ce film est généralement apprécié par le public auquel il se destine puisqu’il tend à rendre beau l’ordinaire, à héroïser ce que nous nous interdisons de vivre, ce que nous sacrifions à la grandeur d’une abnégation morale qui serait supérieure à la vie vécue, interprétation confirmée par le fait que les deux amants ne s’autorisent à se retrouver qu’après la mort, comme si cette vie après la mort était la récompense de la vie terrestre. C’est aussi un film sur la permission du péché, mais du péché comme épreuve à dépasser, un péché qui rend plus grand parce que nous avons justement succombé à sa tentation, péché qui est aussi une autorisation temporaire à rêver et condition d’espérer.


D’ailleurs, Francesca et Robert, les deux amants de 4 jours, sont conscients que leur passion ne tire son existence que de son impossibilité même, puisque cela est formulé explicitement par les protagonistes à la fin du film. Cette passion n’est donc qu’une évasion, et n’existe que parce que c’est une évasion.


Francesca est prisonnière d’une vie faite de choix, puisque le fait de choisir implique intrinsèquement le refus de toutes les autres possibilités non choisies. Robert, quant à lui, est une de ces possibilités. Je me suis toujours dit qu’il n’y avait rien de plus facile à séduire qu’une femme mariée, qui finit nécessairement par envier n’importe quel autre destin que le sien. Les circonstances sont donc savamment réunies pour que Francesca ait l’incommensurable courage de tromper son mari (et bafouer ce sur quoi est fondée sa vie).


Jusqu’à la fin du film, j’ai préféré croire, désabusé, que Robert ne l’aimait pas, non qu’il simulât forcément, mais prît plaisir à la séduction, à l’excitation orgueilleuse du fantasme qu’il incarnait, explication d’autant plus plausible que si l’amour de Francesca est cohérent, celui de Robert est tout-à-fait incohérent. L’âge des deux protagonistes compromet déjà beaucoup la naissance d’une telle passion, à moins qu’ils ne soient demeurés toute leur vie dans un état de naïveté pré-adolescente, ce qui finalement se pourrait bien. La durée du séjour parait également un peu courte pour permettre de bien se connaître, surtout au regard des échanges aussi profonds qu’un pot de chambre dont nous sommes les médusés spectateurs (si bien que ne se connaissant pas l’un l’autre c’est davantage de leurs soi-disant rêves respectifs dont ils s’éprennent). La personnalité indépendante de Robert, diamétralement opposée à celle de Francesca, son passé (le fait qu’il ait déjà été marié), ses conceptions libertaires de l’amour en contradiction totale avec cette phrase citée de sa propre bouche : « Ce genre de certitude ne vous est donné qu'une fois, et jamais plus, quel que soit le nombre de vies qu'on traverse », tout contribue à desservir la vraisemblance, raison pour laquelle la seule explication logique restait que lui ne pouvait pas l’aimer.


Je préfère encore croire que Robert, philanthrope ou cynique, a joué la passion par-delà la mort, et sans doute était-ce le cas, si ce n’est la volonté du réalisateur.

Julien_Grolleau
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le 15 août 2014

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Julien Grolleau

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