Sur le chemin de l'école par abarguillet
« Sur le chemin de l’école » de Pascal Plisson est un film merveilleux par sa simplicité et la formidable leçon de courage qu’il propose avec pédagogie : cinq enfants de 9 à 12 ans dont l’itinéraire, pour rejoindre leurs écoles respectives, est un véritable parcours du combattant au travers de lieux désertiques et pauvres. Il y a Carlos et Micalea qui vivent sur les plateaux de Patagonie en Argentine, Samuel et ses deux frères en Inde, Jackson et sa sœur Salomé au fin fond de la savane kényane, enfin Zahira dans les montagnes du Haut-Atlas au Maroc. Chacun d’eux a cependant la chance d’aller à l’école. Mais à quel prix ! 15 kilomètres à pied à travers la brousse pour Jackson et sa sœur Salomé, 22 kilomètres pour Zahira et ses amies dans les montagnes, 18 kilomètres à cheval dans la lande pour Carlos et sa sœur Micalea. Enfin, Samuel, jeune paraplégique, est tiré et poussé sur son fauteuil roulant fait de bric et de broc par ses deux frères sur 4 kilomètres de chemins terreux, parsemés de ruisseaux. Alors pour quelles raisons vont-ils à l’école ? L’un pour devenir médecin et soigner les enfants paralysés comme lui, l’autre pour être pilote et survoler le monde, une troisième pour enseigner et permettre à tous les enfants du monde d’accéder au savoir, enfin un autre encore pour devenir vétérinaire.
Mais l’originalité du film consiste à nous faire partager le trajet de chacun de ces écoliers au coeur de paysages sauvages et la plupart du temps déserts. Comme si le trajet comptait autant, voire plus, que l’objectif final. Le réalisateur nous invite ainsi à nous rendre à la rencontre de ces enfants-marcheurs et nous convainc, par la même occasion, que le véritable apprentissage commence par la marche, que l’important n’est peut-être pas l’école mais de s’y rendre, tant il est vrai que l’on n’apprend que d’un effort, d’un cheminement avec d’autres, au sein d’une communauté. A contrario, on n’apprend rien en consultant son smartphone. Rimbaud écrivait : « Je suis un piéton, rien de plus. » Dans le mot piéton ou mieux passager, il y a le symbole d’un lieu où l’on se rend, d’un désir vers lequel on tend, d’un choix que l’on aspire à réaliser. Il y a donc ce passage à effectuer pour devenir autre, pour grandir, apprendre et se réaliser, pour entrer dans le monde de la connaissance.
Mais, avant l'étape du parcours, il y a certains rites à respecter : ainsi Jackson lave-t-il son uniforme dans un trou qu’il creuse dans le sable afin d’atteindre l’eau rare et précieuse ; Carlos se coiffe-t-il avec soin ; Zahira trimbale-t-elle une poule dans un sac qu’elle échangera au marché contre de la nourriture et Samuel enfile-t-il, avec l’aide de ses deux frères, sa chemise d’uniforme afin d’être présentable au moment d’entrer au collège, car la plupart de ces enfants portent un uniforme, une façon d’être tous semblables. Que penser de nos petits français qui viennent en classe la casquette vissée sur la tête, en jeans délavés et troués, les chaussures délacées avec le string ou le caleçon bien mis en valeur par la coupe taille basse ? A de tels détails nous mesurons à quel point l’Europe, qui fut si longtemps un modèle pour ces pays, ne l’est plus guère aujourd’hui. Nous avons renoncé à trop de choses essentielles au profit de ce que nous appelons la modernité, cette course en avant qui nous a fait perdre la plupart de nos repères et qui nous revient aujourd’hui à la figure comme un boomerang. Ainsi les parents et les professeurs ont-ils en partie renoncé à leur autorité et l’enfant-roi n’est autre qu’un enfant égaré, victime des abandons successifs des adultes.
Mais le pire est sans aucun doute ce refus de l’effort qui caractérise nos sociétés. Nous faisons de nos enfants des assistés permanents, ce qui est le meilleur moyen de les aliéner. Contrairement aux enfants du film qui sont en permanence confrontés à la difficulté, voire à la peur – ce sera celles des animaux sauvages croisés sur leur chemin, les pentes abruptes à dévaler, les cours d’eau à traverser. Oui, l’effort, la peur sont sans cesse présents mais ils façonnent leur volonté, structurent leur mental : il faut à chacun de ces enfants vaincre, résister. Très tôt, ils sont mis en présence d’un monde qui n’est pas bienveillant et qu’ils devront leur vie durant surmonter. A aucun moment, nous ne les voyons faiblir, moins encore renoncer. La rivière, les éléphants, la cheville endolorie, la roue du fauteuil roulant qui ne tourne plus, à ces écueils ils trouvent des solutions, souvent grâce à l’entraide des gens du pays. Ces petits écoliers sont une fierté pour eux, l’avenir en marche. Aussi rares sont ceux qui ne se montrent pas coopérants.
Au bout de ces parcours difficiles que nous partageons avec eux, il y a l’école, les copains, le maître que l’on aime et respecte, les cours que l’on écoute avec une attention joyeuse et l’avenir dont on rêve. Le rêve existe encore pour ces enfants qui n’ont autour d’eux que des exemples simples mais solides : la famille, la nature dans sa beauté inchangée, la sérénité des cœurs simples. J’avoue que ce film m’a infiniment émue parce qu’il est comme un long poème, un retour aux sources, à la pureté des choses originelles. Certains penseront qu’il ne nous apprend rien, alors qu’il nous apprend tout, ne serait-ce qu’à poser un regard neuf sur ce qui nous entoure, à écouter la voix du monde quand elle chante aussi juste.
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