Je ne donnais pas cher de la peau d'un remake de Suspiria.
Bien que je le trouve sur-estimé pour ce qu'il est intrinsèquement, à savoir un bel objet cinématographique qui n'a rien à défendre au delà de sa plastique flamboyante, le conte de sorcières d'Argento était tant un produit des années 70 et de la vague "giallo", que d'en singer les traits artistiques aujourd'hui paraissait voué à l'échec.
Alors Luca Guadagnino a décidé de prendre la meilleure voie possible: faire un film radicalement différent.
Certes on retrouve dans la version de 2018, le même postulat de départ, à savoir une jeune américaine en fleur Suzie Bannon venant s'inscrire dans une académie de danse à Berlin avant qu'on découvre que cette dernière y abrite un couvent de sorcières.
Mais quand dans le film de Argento cette révélation vient dans le dernier acte, Guadagnino pleinement conscient qu'il n'y a plus aucune surprise à produire à ce sujet, mets à nu dès le premier quart d'heure la véritable nature de la Tanz Akademie.
Et si certains points du scènario font évidemment écho à l'original (Sara venant à explorer les parties cachées de l'Académie), l'histoire dans sa quasi intégralité s'en éloigne diamétralement.
Il ne s'agit pas que d'offrir une intrigue différente, ou même adopter une autre position sur les éléments de la version de 1978 (par exemple, Guadagnino est largement moins timide à montrer de la danse et en jouer).
Cela crève les yeux de voir que le réalisateur de Call Me By Your Name, ne cherche pas à affronter son ainé sur les mêmes facéties visuelles et ainsi livrant un visuel bien plus épuré et terne en couleurs (mais paradoxalement ayant sa légion de plans à la beauté glaciale), mais au contraire essaye de le compléter en proposant un récit incroyablement riche en allégories et symbolique.
Pour vous dire, à l'heure ou j'écris ces lignes, je n'ai toujours pas fini de démeler l'intégralité de ce que Suspiria mouture 2018 a à raconter, mais cela va autant du communautarisme, du rapport conflictuel entre le dogme moraliste réligieux et la débaucherie chaotique violente, du féminisme (les Hommes étant comparés aux Allemands post Nazisme, incapables de regarder en arrière et assumer leurs fautes) devant trouver une troisième voie "coupant la poire en deux", du narcissisme, de l'invasion culturelle Américaine...
Et encore je ne fais que raconter que la moitié de ce que le film de Guadagnino donne au spectateur.
Même les questions qui restent en suspens
(est ce que Suzie était depuis le départ Mère Suspiriorum? L'est elle devenue en arrivant à Berlin et en faisant le contact "avec le sol"? Etait ce transmis par sa propre mère dont la respiration évoque de façon malicieuse la Helena Markos de chez Argento?)
, s'avèrent fascinante à disséquer.
Cependant si ce Suspiria faisait jusque la un sans faute, le film s'éffondre brutalement dans son climax à quelques centimètres de la ligne d'arrivée.
Tournant soudainement le film en une espèce de Silent Hill-like, filmé en ralenti saccadé comme un clip de New Wave des années 80 et avec une musique de Thom Yorke totalement à coté de la plaque, ce qui aurait pu être un final stupéfiant (Suzie massacrant les pro Markos par la danse aurait pu être splendide) se transforme en moment tiède indigne de l'excellente oeuvre qu'elle était jusque la.
Néanmoins, je ne peux m'empêcher de garder ce Suspiria en éloge.
Le parti pris était audacieux et le transforme, à l'exception de la chute dans son final.
Guadagnino se permet même des touches d'humour qui loin d'abrutir le ton du film, le rendent d'autant plus étrange et fascinant.
Et malgré tout le cynisme et la noirceur que Suspiria dépeint dans son récit ou ce qui en découle, j'admire qu'il finisse sur une note optimiste.
Malgré tous nos conflits, toute notre haine, tout le ressentiment du passé.
Seul l'amour restera et perdurera.