Bon, maintenant je sais de qui Tetsuichiro Tsuta s’est inspiré pour The Tale of Iya (même si le fait que Kawase jouait dans son film aurait dû me mettre la puce à l’oreille !). Cadre champêtre et montagnard, population vieillissante, isolée, frappée par les aléas d’une économie qu’elle ne contrôle pas : les points communs sont nombreux entre les deux films.
Suzaku est le premier long-métrage de fiction de Naomi Kawase et il contient en germe ce qui fera le succès de la réalisatrice, à savoir ce style très proche du documentaire, une histoire simple et un développement des personnages minime, plutôt axé sur la suggestion et les non-dits. Ce dernier aspect est probablement la plus grande réussite du film, puisqu’il parvient à relancer à mi-chemin l’intérêt du spectateur en introduisant un élément perturbateur dont l’imprévisibilité est à mon sens un beau gage de crédibilité.
La cinéaste prend en quelque sorte le contrepied de tout ce qui est attendu d’un film japonais de ce genre. Elle se joue des codes du shomingeki style Ozu ou Naruse et les remobilise à l’aune des problématiques posées par la société contemporaine, quitte à complètement les inverser. En effet, au lieu de nous raconter simplement la vie d’une famille japonaise moyenne, Kawase en décrit plutôt le long délitement, avec ce sentiment très prégnant d’inéluctabilité. Comme si la résignation, dont Eisuke semble être la vivante incarnation (peut-être excessivement), s’était emparée de tout ce microcosme rural, lequel meurt petit à petit en emportant avec lui les souvenirs de jours meilleurs.
À mon sens Suzaku aurait pu être véritablement excellent si le tout avait bénéficié d’un peu plus d’émotion – d’incarnation, au sens de chair – pour soutenir de manière efficace ce triste édifice social en pleine déliquescence. Si la photographie du film est belle, l’esthétique n’est pas non plus marquante au point de nous inviter à la contemplation, ce qui aurait pu constituer un point d’attache supplémentaire à l’attention et ainsi renforcer l’immersion, laquelle n’arrive que tardivement par l’intermédiaire de scènes de la vie quotidienne filmées par Kawase en référence claire au documentaire. La relation amoureuse entre Eisuke et Michiru (Machiko Ono), peu exploitée, ainsi que la question des origines d’Eisuke (faisant probablement écho à la vie de Kawase) auraient pu par exemple jouer un rôle plus considérable dans la trame de l’histoire.
Quelques défauts qui ne viennent pas trop obscurcir un film dont la fraîcheur visuelle contraste avec la chaleur étouffante de l'été nippon. Une fois de plus c'est bien la simplicité de la poétique de Kawase qui l'emporte et nous emporte ; ce regard si personnel et pourtant très juste sur un Japon contemporain en pleine mutation qui contient sa part de relégués.