Suzume
7.1
Suzume

Long-métrage d'animation de Makoto Shinkai (2022)

Bon autant crever l'abcès tout de suite : oui c'est somptueux, bien sûr que c'est somptueux. Animation et direction artistique absolument magnifiques pour ce qui nous semblent être devenu la norme chez ce cher M. Shinkai. Néanmoins, là où à mon sens, les derniers travaux du bonhomme avaient tendance à tomber dans la redite et devenaient de plus en plus des caricatures de son propre style (avec toujours cette palette très [trop] bleu centrée) on trouve un vrai renouveau dans Suzume. Sans doute accentué par la nature même du voyage entrepris par les protagonistes, traversant le Japon d'un bout à l'autre et multipliant, entre autres, les paysages de ruines et d'abandon.

Autrefois bouillonnantes d'énergie et maintenant infiniment silencieuses, il est impossible devant ces ruines de ne pas penser au Japon post-2011 et la catastrophe de Fukushima, chose à demi avoué par le réalisateur en interview par ailleurs. Mais plus globalement, on pense aussi à l'éclatement de la bulle spéculative à l'aube du XXIe siècle, ayant eu des conséquences immenses sur l'économie japonaise et a fortiori sur l'immobilier, marquant indéniablement la fin d'une époque (pas pour rien que les japonais parlent de véritable "décennie perdue"). C'est aussi toute la mélancolie qui ressort de ces lieux que le film arrive à transmettre, que ce soit par leur nature même, ou par les actions de ses personnages en leur sein.

Parmi cette symbolique, la représentation d'un parc d'attraction abandonné, a forcément plus d'impact que n'importe quel village en ruine : où sont passé les rires des enfants ? Nos héros iront jusqu'à "relancer" le parc, créant immédiatement la surprise et l'admiration des habitants les plus proches.

La (re)découverte de ces lieux rentre alors en résonnance avec la quête de Suzume, entre acceptation du passé et regard porté sur le futur. Tout le film raconte ainsi la véritable maturation de la jeune fille. Entre le cassage de gueule en règle de la figure du prince charmant transformé en chaise et la fugue/aventure loin de la figure maternelle, en passant par quelques scènes légèrement teintées d'érotisme, c'est le passage de l'ado à l'adulte qui prend sens ici. Période de conflit aussi bien externe qu'interne, l'adolescence est aussi une période d'affirmation et Suzume arrive très bien à saisir l'ensemble du tableau : désir d'indépendance, premier amour, quête de sens, transgressions des règles parentales…

Détail plus ou moins subtil, mais cette affirmation de Suzume, le film nous l'offre avec ces 2 séquences d'autostop en miroir. Dans la première, notre héroïne n'arrive pas à attirer le peu de voiture qui passe et comme lui suggère Sota "ll faut que tu t'affirmes plus que ça !". Dans la seconde, c'est après l'accident de voiture aux côtés de Serizawa et de sa tante, que Suzume nous révèle son évolution, en prenant immédiatement l'initiative d'appeler à l'aide des automobilistes pour lui permettre de poursuivre son périple.

Pas pour rien non plus que le film a comme figure centrale la porte et toute sa symbolique. Dans cette histoire on ouvre des portes sur des monstres, on ouvre des portes sur d'autres mondes, on ouvre des portes sur le passé et surtout on ouvre des portes sur soi.

Le passage à l'âge adulte c'est cette chaise d'enfant restituée à sa petite soi du passé, moyen de faire le deuil d'une mère parti trop tôt pour pouvoir enfin s'accepter elle même.

En bref, Suzume est un fantastique film sur la jeunesse, l'acceptation du passé et la maturité à travers le récit initiatique de notre héroïne mais aussi un témoignage important et sincère sur le rapport particulier du Japon à ses catastrophes.

(Il y aurait encore beaucoup à dire mais en vrai, Maitre Gims avait déjà tout dit en 2013.)

Muffalo
8
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le 18 mai 2023

Critique lue 75 fois

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