En bon petit conte moderne, l'histoire commence par le fantastique qui déboule dans le quotidien. Suzume se rendait au lycée quand sa route croise celle d'un beau jeune homme lui demandant si elle ne connaitrait pas "une porte". Ou des ruines selon la trad'. Il chamboule son coeur d'un regard et puis s'en va. Elle décide de l̶e̶ ̶s̶t̶a̶l̶k̶e̶r̶ de provoquer le destin en le retrouvant. Ça me fait un peu penser à cette collègue de travail qui m'avait invité à aborder cette fille avec qui je prenais le tram tous les jours."Tu sais, la vie ce n'est pas d'arriver à l'heure tous les jours".
Suzume ne retrouve pas son mystérieux beau brun, mais finit par tomber sur une porte au milieu de l'eau dans un plan visuellement sublime. Et, l'ouvrant, elle libère des forces homériques qui la dépasse, elle et Sato d'ailleurs, le beau jeunes hommes dont le travail est -justement- de fermer des portes. ̶I̶l̶ ̶e̶s̶t̶ ̶c̶o̶n̶s̶e̶i̶l̶l̶e̶r̶ ̶P̶o̶l̶e̶ ̶E̶m̶p̶l̶o̶i̶
Rien ne se passe alors comme prévu et, ensemble, ils partant dans une quête sans espoir à travers tout le Japon, l'occasion pour Shinkaï de distiller des bouts de vécu, des morceaux d'histoires, et de montrer les japonais à travers un quotidien, une culture et une mémoire commune de peur et d'acceptation. Sans en dire davantage sur ce qui se cache métaphoriquement derrière cette porte.
Je veux, en revanche, souligner l'esthétique de l'image. Chaque plan, chaque objet, chaque lumière fabriquée par ces équipes de magiciens représentent un bijou pour les yeux et vallent, à eux seuls, le prix du billet.
Et heureusement que l'animation et l'esthétique séduisent de suite, parce que les débuts sont laborieux. Les personnages sont frustrants. Le meilleur exemple étant Sato qui préfère tout régler tout seul que d'avoir de l'aide pour sauver le monde. Comme s'il pouvait y arriver à la seule force de ses petits biscotos de bellâtre.
Autre ombre au tableau, le doublage VO est tellement cringe que la salle se gausse sans cesse en le pensant provenir d'un film porno. Sans déconner, les premières scènes sont avec des enfants haletants suite à une course et, en fermant les yeux, on s'y croirait. J'ai entendu plusieurs spectateurs faire la remarque.
À ce stade du film, le premier quart, j'ai peur de ne pas accrocher. D'être face à un film qui me parlerait moins, qui serait plus "nippon ni mauvais" que les derniers du réal. Mais Shinkai est toujours aussi magique dans sa manière de dépeindre le Japon et de raconter des histoires. Surtout avec la tournure road trip que prend le récit.
Les personnages vont très vite s'embarquer dans un voyage à travers le pays du soleil levant. C'est dépaysant pour les Occidentaux, comme une épopée vers le Mordor. Mais évocateur pour les Asiatiques avec, en fond de toile, une fenêtre ouverte sur le deuil et les traumas qui unissent inconsciemment les Japonais. En l'occurence, les séismes.
Tout comme Your Name parlait aux anciennes génération par son rappel au traumatisme d’Hiroshima et Nagasaki. Le film battait, d'ailleurs, des records d’audience au Japon parce qu’il évoquait un choc intense et collectif. J'ai lu quelque part, sans avoir réussi à retrouver la source, que plus les semaines passaient, plus la moyenne d’âge des gens venus voir Your Name dans les salles grimpait. L'analyse évoquait le bouche à oreille et d'anciennes générations touchées par ce trauma en trame de fond. Ça m'a conforté dans l'idée que Your Name est l'un des plus grands miracles du cinéma. Le film est incomplet, selon son réalisateur, comme une énième preuve que le génie s'échappe souvent des erreurs. Suzume m'a aussi montré que les miracles ont un grand défaut : ils n'arrivent pas deux fois.
Pour revenir à Suzume, le film s'envole après la scène de la Grande Roue. Un passage dont les personnages n'auraient pas dû réchapper, par ailleurs. Heureusement, une ellipse les transportent en lieu sûrs sans plus d'explication. Étrangement, c'est à partir de ce moment là que le rythme devient incroyable. Le film alterne alors entre phases contemplatives, courses poursuites et introspections dans un crescendo jusqu'au climax tout en 3D et tension héroïque. Le propos est plutôt réussi dans toutes ses intentions, que ce soit l'insouciance, l'humour, la bienveillance... Alors le drame dénote et marque. D'ailleurs, la scène de fin m'a arraché une larme.
Dans la forme, on reste dans le voyage d'initiation avec les mêmes thématiques que les derniers films de Shinkaï. Les catastrophes, le deuil, les esprits de la nature, l’amour adolescent, la diptyque vie citadine et rurale, le voyage dans le temps et entre les dimensions... Certains dirons que Makato se répète, moi je dis qu’il se peaufine. Il éparpille les vibes témoins d'une époque (la notre) et feel good que j’attendais de lui, avec des sujets qui parlent et font rêver. Avec des personnages mieux écrits qu'avant.
D'ailleurs, c’est un cast féminin. A part Sato, un bg vite dépourvu de ses atours et faisant office de princesse en détresse que l’héroïne veut choper puis sauver, la quasi intégralité des personnages est féminine. Et plutôt bien écrite. De la business-woman mère de deux enfants, à la tenancière de bar en passant par la femme qui élève seule sa fille adoptive, Suzume fait moult rencontres durant sa course-poursuite avec le temps.
Et puis, y a un chat et une chaise. On n'a pas vu meilleur duo depuis l'apprenti de Walt Disney.
Il n'y a pas vraiment de personnage masculin approfondi, jusqu'à l'arrivée, vers la fin, du benêt à lunettes ronds que j'ai adoré. Explicitement présenté comme le bon gars il est implicitement montré comme une personne solaire, sarcastique, optimiste à excès et drôle. En plus il a de bonnes réfs, comme celle du clin d'oeil au film Kiki la Petite Sorcière. « Elle aussi elle avait un petit chat et c’est approprié pour un voyage ».
Au passage, j'emmerde ceux qui disent qu'on ne peut pas comparer Shinkaï à Myazaki. Les thèmes, les personnages, les ambiances sont si similaires. Et pas moins profondes, juste plus modernes. Le cinéma de l'un doit tout à celui de l'autre. Et c'est particulièrement assumé ici. En intégrant, par exemple, directement Ghibli à son univers cinématographique. Le réal montre ainsi à quel point l'oeuvre du studio est implantée culturellement. Et qu'il faudra toujours composer avec ce qu'ils ont crée et laissé. Et ça passe par l'immiscion de Rouge no Dengon à la bande son. A ce sujet, la partition de Radwimps à la musique est toujours aussi propre. Mais, je l’ai trouvé paradoxalement plus fouillée et moins mémorable. Contrairement à celle des Enfants du Temps que j’écoute encore et celle de Your Name qui m'arrachait des tombereaux de larme.
Sans déconner, je me souviens avoir vu Your Name 4-5 fois au cinéma. Et avoir re-écouté en boucle l'album son pendant des mois, avant que la version japonaise du film ne fuite, pour me refaire encore et encore cette histoire dans ma tête. Mais rien d'aussi fort cette fois.
Pour résumer, le film représente -à mes yeux- un bel équilibre entre drame, aventure, humour et message sous-jacent. C'était un road trip tout émouvant, avec un rythme maîtrisé et une animation sublime. L'aspect "conte moderne" gomme presque les défauts d'écriture.
La symbolique du deuil ; de l'oubli ; de l'acceptation ; du fait de revivre, une dernière fois, avant de tourner la page ; de fermer la porte afin d'apaiser le chaos, couplé à la beauté des plans, des relations et des atmosphères font de ce film un condensé de tout ce qui fait la poésie de Shinkai.
Ah oui, oups, j'ai oublié d'employer les mots "génial" et "Makato Shinkaï" dans la même phrase. Voilà qui est fait.