Après la sucrerie géante (mais savoureuse) que fut Charlie et la chocolaterie, Burton prend tout le monde de court avec cet opéra baroque et sanglant. Tout est excessif et totalement assumé : la blancheur cadavérique des personnages, la musique tout en cuivres de Stephen Sondheim, les litres de sang... Les acteurs assurent (Johnny Depp y joue son dernier bon rôle pour un bon bout de temps) et les chansons fonctionnent très bien (Johanna tend à irriter cela dit).
En ressuscitant ce classique d'outre-Manche, le réalisateur dépeint une civilisation en décomposition au sein de laquelle l'amoralité se répand comme un fléau. "Nous méritons tous de mourir", chante le barbier : le monde de Sweeney Todd est une fosse fangieuse où l'humanité se complaît, se corrompt et s'entre-dévore. Une société de cancrelats que le héros, seul à être libre car conscient de sa propre monstruosité, veut réduire en poussière. L'intelligence de Burton réside dans l'ambiguïté de son personnage, à la fois victime et bourreau, fantôme vengeur aveuglé par la folie. Après avoir laissé une lueur d'espoir avec les personnages des amoureux, le film replonge dans l'enfer du sang, du feu, des ténèbres et des regrets. Une fin amère pour un film à l'ironie terrassante, une joyeuse tragédie, une friandise au goût de cendre.