Putain, déjà 21 ans. 21 ans déjà que les junkies Renton, Spud, Sick Boy et le violent Begbie ont sillonné, Iggy Pop dans les oreilles, une Ecosse industrialisée à outrance par le biais d'un film générationnel sur la quête identitaire et le questionnement du sens même du système. 21 ans plus tard, les choses ont évolué. Les quatre acteurs, on les connait. John Hodge, on le connait. Danny Boyle, n'en parlons même pas. Mais dans la diégèse, les choses aussi ont évolué. En témoigne ce T2, grand film-testament malade et fatigué, aux idées faisant office de passerelles générationnelles.


Pour être plus clair, il était évidemment questionnable de l'utilité d'une suite à Trainspotting. Un retour en Ecosse pour Renton après le vol de plus d'une dizaine de milliers de Livres ? Improbable. Une sagesse et une maturité née chez les autres protagonistes, après une trahison aussi grande ? Peu adéquate. C'est ce qui fait la force de l'histoire de ce film: elle ne sait pas où elle va car elle est du même acabit que ces personnages. Alors elle essaie, tant bien que mal, de retrouver sa flamme d'antan, mais titube, la faute au poids des années passées. T2 n'existe pas comme film tel, ce n'est qu'un spectre du premier, qui le regarde fièrement mais n'arrive pas à le copier, tant dans la narration que dans les idées visuelles et auditives. Le spectateur, lui, a bien évolué aussi. Il est symbolisé par le personnage de Veronika, jeune prostituée témoin des aventures et occasionnellement ange gardien de nos plus très joyeux lurons. Autour d'elle gravitent toutes les péripéties du long-métrage, sans qu'elle en comprenne parfois la substantifique moelle ni les agissements, parfois trop sanguins, de ses nouveaux compères.


La nostalgie, souvent décriée comme du fan service (coucou Star Wars VII, coucou Jurassic World, coucou plein de suites tardives en fait), est un rouage essentiel au mécanisme de cette réunion. Non pas pour le spectateur, susceptible d'être flatté de retrouver ses marques, mais surtout pour gonfler les storylines et emplir de tristesse des personnages en quête de renouveau par le biais d'une reconstitution factice. Apprendre du passé pour créer l'avenir ? Non, plutôt vouloir le copier mais en avouant bien plus tard que tout a changé. C'est la grande qualité du film: faire miroiter la même chose mais se rendre compte qu'il est impossible de tout refaire, que la notion d'anti-système n'est plus la même, et que cette fois-ci, ces quadras en manque de nouveauté vivent reclus de la société parce qu'ils n'ont pas d'autre choix que celui-là, que cette dernière ne veut pas d'eux. Tout y passe: de la musique du premier volet recomposée à l'occasion, à la texture 35mm forcée en post-production de la caméra numérique en passant par les milliers d'effets tape-à-l'oeil de Boyle "jump-cutées" en permanence et les répliques du précédent film détournées a des fins plus vicieuses - le célèbre "Choose Life", devenu à elle seule un monologue presque conformiste, est remis à jour afin que Renton puisse draguer dans un restaurant - et tristes - au fond, a-t-on vraiment le choix ? -, afin de forcer à refaire comme avant... sans jamais atteindre la plénitude d'avant. Il en est de même pour la voix off incontournable de Ewan McGregor dans le premier volet qui, une fois entièrement dépourvue de repères, s'éteint progressivement. Même des images de son aîné sont présentes afin de pousser le mimétisme de ses séquences les plus cultes à son paroxysme ! Se dévoile alors un blocage perpétuel, une boucle infernale et cauchemardesque, et le seul personnage à s'en rendre compte n'est autre que Spud, junkie suicidaire désormais pierre angulaire de la narration, interprété magistralement par un Ewen Bremner plus touchant que jamais. Cette boucle n'est autre que le schéma de vie que s'étaient mis en place les protagonistes dans le premier chapitre, gangrené par des gimmicks parfois plus nocifs que le mode de vie lambda qu'ils souhaitaient fuir.


De ce film, nait aussi une volonté scénaristique de créer une passerelle émouvante entre les générations. Cette passerelle est manifestée dans la diégèse par la relation déchirante entre Begbie, voleur et alcoolique assoiffé de vengeance, et son fils, qui ne souhaite en aucun cas ressembler à son père. De l'hilarité du passage de relais inter-générationnel (la première scène de rencontre entre les deux en l'occurrence), naît une amertume pour le paternel de ne pas être né plus tard ou de ne pas avoir pu être guidé plus tôt, en somme un paradoxe et une incompréhension identitaires se mettent au monde elle-même à travers cette seule relation. Paradoxe identitaire que l'on retrouve dans le style visuel du projet, orchestré par Boyle et son chef opérateur Anthony Dod Mantle, entre volonté du réalisme parfois légèrement poseur d'antan et folie chromatique des années 2010 comme Trance, générant alors une passerelle et une réflexion intime sur les choix opérés par le réalisateur au fil du temps : devenir fou et se perdre pour rajeunir dans sa tête ou se poser pour contempler son œuvre ? Telle est la grande question de Boyle, et accessoirement de Spud puisqu'il est la métaphore même de la production de ce film dans la diégèse, au fil des 117 minutes de métrage...


Ainsi donc, Trainspotting 2, avant d'être un bête film gorgé de fan-service destiné à caresser dans le sens du poil les aficionados de la première heure du premier volet, est un film qui se replie sur lui-même, une évocation brutale du temps qui passe et des souvenirs que l'on souhaite faire renaître, malgré les années en plus et la fatigue déjà bien développée. Attention cependant, le film se destine surtout aux personnes ayant connu le film très tôt, le voir de suite après le premier volet semble risqué et peut susciter certaines incompréhensions vis-à-vis de son intention première. Choose nothing. Watch this.

WuTzng
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le 1 mars 2017

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WuTzng

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