C’est une prouesse que de rendre compte de la violence du monde avec autant de langueur. Taipei Story est un film lent et contemplatif, qui montre (et dénonce) l’avancée inexorable du capitalisme sur Taiwan, et surtout sur ses habitants. Le tout est à l'image de ce petit jouet en plastique, cette cannette de Pepsi miniature, qui avance sans fin, dans les deux sens du terme.
La ville est le lieu de l’oubli. On oublie les autres, et on s’oublie soi-même : la quête des héros, outre de sauver leur amour en péril, est de raccrocher avec leur propre identité.
Toutefois, le concept même de ville n’est pas chaotique comme on pourrait s’y attendre. La métropole est belle, silencieuse et presque douce. La force obscure et insidieuse du capitalisme emporte les personnages vers l’oubli de manière lascive. Les plans larges, très larges, bien connus de la Nouvelle Vague Taïwanaise, noient l’humain dans l’urbain.
Chin et Lon montrent deux modèles opposés. Elle, acharnée, tente d’aller vers autrui. En vain. Lui, qui a l’expérience de l’Amérique, sait se détacher de ses propres émotions et prône l’individualisme. Il est ancré dans le système : « tu as de la compassion pour les autres mais tu ne sais pas aimer », lui dit son amante japonaise. La critique est là : au fond, celui qui périt, c’est celui qui se fait happer; celui qui rentre dans une vie régie par l’argent, et où l'amour n’est plus que tromperie et mensonges.
L’argent semble être le seul moyen d’exister. Auprès des autres, auprès du monde. On en prête pour se faire valoir auprès des autres, et quand on n'en a pas, on n’est personne. Chin va même jusqu’à accaparer les amis de sa sœur pour trouver une place, si infime soit-elle, dans un monde qui la rejette. Au fond l’enfer, c’est les autres; ceux qui s’ancrent dans un système où l‘argent remplace l’humain; où tout est à perdre et rien ne semble à gagner.
Dans cette fable contemporaine, Yang réussit à trouver de la contemplation dans un lieu qui anéantit tout; chercher sa place dans la ville, et y trouver néanmoins de la beauté, à défaut de se trouver soi-même.