Vous aviez été ému.e par Amour de Haneke ? Vous l’aviez été encore plus par Vortex de Gaspar Noé, l’année dernière ? Ce n’était rien par rapport à Professeur Yamamoto part à la retraite. Ainsi comparé à deux films pourtant imposants - de par l’émotion qu’ils procurent, leur casting, la renommée de leurs réalisateurs…- on est en droit de se demander ce que Professeur Yamamoto a en plus. Cela vient à se replonger dans une querelle qui est née en même temps que le cinéma et qui opposait déjà les frères Lumière à George Méliès à la fin du XIXe siècle : le cinéma est-il l'instrument d’un art fictionnel ou un œil porté sur la réalité ? En effet, et même si cela semble peu de choses, la force de Professeur Yamamoto part à la retraite tient au fait que c’est un documentaire.
Sachant ceci, le spectateur modifie son horizon d’attente en conséquence. Si je vais voir un documentaire, c’est que chaque situation est réelle et a bel et bien été vécue, telle quelle. Cela est d’autant plus prononcé dans Professeur Yamamoto part à la retraite que le point de vue documentaire est totalement décomplexé : la quasi intégralité des scènes sont des plans séquences et se déroulent d’une traite sans coupure. Le réalisateur, Kazuhiro Sôda, n'hésite pas non plus à faire sentir sa présence. Si l’on peut parfois l'apercevoir dans des reflets, il arrive même qu’on l’entende, car celui participe - uniquement par la voix - à “l’action” du film.
Mais là où l'œil documentaire prend tout son sens, c’est dans la manière dont il est intrusif. Une première partie du film s'attèle à filmer les consultations dudit Professeur Yamamoto, docteur en psychiatrie, et à ne rien nous cacher de ce que lui disent ses patients. La vulnérabilité de l’être humain est mise à nue. Celui qui est avant tout médecin prend des allures de gourou alors que les visages défilent qui toujours le sanctifient. Nombre de ces témoignages sont touchants et nous laissent entrer en douceur dans cet univers singulier, mais pourtant bien réel, qu’est le Japon vieillissant.
C’est toutefois la seconde partie qui est la plus marquante. Toujours dans l’idée de ne rien dissimuler, Kazuhiro Sôda s’immisce, après y avoir été invité, chez le professeur et sa femme, Yoshiko, visblement malade d’Alzheimer. Ainsi voyez vous s’esquisser le lien avec les deux films cités précédemment.
Il ne fait aucun doute que Yoshiko vole la vedette à son mari : la caméra s’aimante peu à peu sur sa figure, sans ne plus pouvoir la quitter, comme attendant qu’elle réagisse, qu’elle vive. Professeur Yamamoto part à la retraite change alors de propos. Si le professeur continue à sacrifier sa vie au profit d’autrui, la question du souvenir et de la mémoire se pose de plus en plus frontalement. A celle qui continue de vivre sans ne plus exister on raconte les souvenirs de sa propre vie. Des photos parsèment le décor. Pourtant, Yoshiko reste prisonnière de ce rythme, cette langueur sénile et sénescente dans lequel le film nous a fait entrer. Tout est là, réel, vécu et filmé. La figure inanimée de Yoshiko, presque morte déjà, dit tout d’un monde qui vit de plus en plus vieux et d’un Japon qui se va mourant à petit feu. Professeur Yamamoto part à la retraite a aussi cette audace extraordinaire, exécutée avec douceur, de nous montrer notre propre destin.
D’un documentaire sur un médecin à la retraite, Professeur Yamamoto part à la retraite se mue peu à peu en un portrait cinglant de la vieillesse inévitable et de l’amour immortel. Ce portrait nous est adressé sans concession. Peut-être pour nous émouvoir, peut-être pour nous avertir, en tout cas pour nous montrer. Tout simplement.