On entend et lit tellement sur les films de nos jours que la critique en devient archi-divisée, que ce soient les spectateurs, les critiques presse, les blogueurs cinés, les forumeurs ciné... Que le constat en revient donc au même, de plus en plus, se forger son avis par soi-même. Sorti en DVD chez Bac films le 5 avril, j'avoue que j'avais loupé le film en salles, le voir en vidéo était donc plus que bienvenu tellement le projet et le peu lu dessus, m'intriguait. Car oui, Taj Mahal fait partie de ces nombreux films qui intrigue, passionne, fascine ou laisse indifférent et dans tout ça, pas étonnant donc que face au sujet même du film, plus que d'actualité (le terrorisme islamique radical, ça vous dit forcément quelque chose...), on en revienne à la question de la subjectivité, surtout que Taj Mahal choisit de mettre en scène tout ça d'une manière plus ou moins inattendue face à ce à quoi on nous habitue de plus en plus, la surenchère, l'horreur, la violence, le tout souvent multiplié dans un même geste de voir.


Or le cinéma c'est aussi, on le sait depuis un moment maintenant, un art du non-voir, du non-dit, de la suggestion. Beaucoup de grands cinéastes sont d'ailleurs très doués pour suggérer quelque chose en en montrant peu, voire quesiment rien (cela tient au hors-champ, à des dialogues, à des jeux de champs-contrechamps, de flou dans l'image, de focale...). Et ici, Nicolas Saada, en choisissant presque pudiquement, de jouer sur la carte intimiste en jouant le contrechamp du drame, donc, via le personnage de Louise et en s'en tenant uniquement à ce qu'elle ressent et voit, m'a paru jouer brillamment et intelligemment du drame tout en entretenant le suspense tout le long.


N'importe qui aurait montré la violence physique de l'attentat en dévoilant d'emblée les terroristes et leurs visages en pleine action. Sauf qu'ici non et du coup l'horreur de la situation (sa claustrophobie même) n'en devient que plus forte étant donné qu'ici (mis à part des plans extérieurs sur les appels au téléphone des parents angoissés -- qui pourraient couper le rythme du film mais il n'en fut rien dans mon cas), l'on se place dans la même situation que Louise. On reste à ses côtés tout le long, dans l'attente du danger et d'une mort certaine qui pourraient arriver à n'importe quel moment. C'est fort, c'est très fort. Et l'on comprend d'autant plus le choix pudique de mettre la violence et l'horreur hors-champ plutôt que la montrer quand on voit vers la fin du film, des images --bien réelles celles-ci-- vidéos de l'attentat en direct aux infos. Car Taj Mahal s'inspire d'un fait divers qui a traumatisé l'Inde le 26 novembre 2008. Ce soir là, deux terroristes vont prendre en otage plus d'une quinzaine de personnes à l'hôtel Taj Mahal et en tuer d'autres. Cette attaque fait partie en fait d'une série d'attaques meurtrières terroristes qui secouent Bombay du 26 au 29 novembre 2008, parfaitement planifiées et organisées.


Tout en subtilité est également le reste du film. L'attaque de l'hôtel n'intervient en fait qu'un milieu du film dans un second acte, laissant le champ libre dans la première demi-heure pour poser les bases, nous montrer cette famille plus ou moins liée qui vient d'arriver. L'émerveillement de Louise, puis un constat plus blasé devant ces journées de "vacances" devant des parents qui la délaissent est de plus en plus perceptible. C'est dans une nuit presque banale alors que Louise commence à se regarder Hiroshima mon amour toute seule devant son ordi, que tout bascule (d'ailleurs le film de Resnais ne nous montrera jamais véritablement Hiroshima au moment du drame, seulement quelques plans inquiétants en ouverture et les corps enlacés et presques minéraux d'Emmanuelle Riva et Eiji Okada qui font office d'ellipses poétiques face à l'horreur de quelques chose qu'on "a même pas vu" à Hiroshima. D'ailleurs même parce que c'est tout bonnement inmontrable).


Subtilité aussi dans le dernier acte du film où Nicolas Saada s'attarde longuement sur le travail de deuil, "processus indicible, incommunicable et propre à chacun" (pour reprendre les mots même d'un ami cinéphile Lausannois) où la solitude ne peut que se mesurer à nos différences, ce qui nous rapproche comme ce qui nous éloigne, le tout sur la musique apaisée bien qu'inquiète du splendide River man de Nick Drake (mais tous les choix musicaux du film sont excellent. Ainsi de ce final folk comme de l'ouverture sur un des "passages" de Philip Glass + Ravi Shankar). Superbe film, intime, prenant et très touchant, que je recommande vivement !

Nio_Lynes
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le 21 juin 2016

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Nio_Lynes

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