Take Out
6.5
Take Out

Film de Sean Baker et Shih-Ching Tsou (2004)

Ce film est le second long métrage de l’Américain Sean Baker, récent vainqueur de la palme d’or au festival de Cannes 2024 pour Anora. Le titre Take out se traduit par « Sortir » et il correspond à l’enseigne où travaille Ming Ding. Ming est un Chinois relativement jeune qui vit comme clandestin à New York. Pour venir aux États-Unis, il s’est endetté et, afin de ne pas gêner sa famille restée au pays, il leur a envoyé de l’argent en préférant s’endetter sur place. Malheureusement, pour cela, il a contracté un emprunt auprès d’un usurier peu scrupuleux et Ming a accepté un taux de 30 %.


Le film commence alors que deux hommes de main de l’usurier (Chinois eux aussi apparemment) viennent le réveiller pour lui signifier qu’il doit rembourser ses dettes dans la journée. Sous la contrainte, il parvient à payer 1 000 dollars qu’il conservait dans un frigo. Reste donc une dette de 800 dollars. Et s’il ne paye pas d’ici le soir, sa dette sera arbitrairement multipliée.


Ming travaille comme livreur à vélo pour une enseigne qui vend des repas asiatiques. Il ne manque pas de bonne volonté, mais il redoute fortement de ne pas pouvoir payer ce qu’il doit.


Heureusement, il réussit à emprunter 500 dollars à une cousine qui travaille dans un atelier de couture où on sent qu’on n’est pas loin de l’esclavage. Pour le reste, il tente sa chance auprès de Young, son ami qui travaille comme livreur pour la même enseigne. Par fierté, mais peut-être aussi pour éviter d’ébruiter ses difficultés, Ming refuse d’expliquer pourquoi il a besoin d’argent, ceci au risque de rester en rade. Des 300 dollars qui lui manquent encore, il réussit à en obtenir 150 de Young. Pour les 150 restant, il n’a pas d’autre solution qu’espérer les collecter avec les pourboires du jour.


C’est une journée pluvieuse et Young qui a compris la situation propose de lui laisser toutes les livraisons qu’il pourra assurer.


Le film nous montre donc ce pauvre Ming qui ne parle que quelques mots d’anglais (essentiellement pour dire qu’il n’est pas Américain), enchainer les livraisons à l’aide de son vélo. Bien entendu, on redoute tout ce qui peut lui arriver et on pense par exemple à un film du répertoire classique Le voleur de bicyclette (Vittorio De Sica – 1948), mais il faut croire que Sean Baker et Shih-Ching Tsou (co-scénaristes et coréalisateurs) connaissent ce classique, car ils ont d’autres idées en tête. D’ailleurs, une bonne partie du film montre Ming récolter régulièrement des pourboires. On en arrive même à se dire que les newyorkais sont des habitués de ce type de commandes et considèrent le pourboire comme un petit plus légitime. Ceci dit, on a beaucoup de mal à évaluer à combien chaque pourboire peut se monter. D’ailleurs, Ming explique à Young à un moment que parfois ce ne sont que quelques piécettes.


Bien entendu, Ming ne va pas récupérer 150 dollars de pourboires en une seule nuit sans subir quelques mésaventures. Il va devoir affronter les éléments (la pluie), la malchance ainsi que des malentendus avec les commandes qui lui font perdre du temps et font monter la tension et l’amènent au bord de la rupture avec un collègue qui ne peut pas le sentir, le mépris de certains clients et des rencontres qui lui apportent du bon mais aussi du moins bon. Et si le film se montre assez noir dans sa description de cette soirée newyorkaise, il nous laisse sur une certaine note d’optimisme renforcée par un travail sur les couleurs qui nous rappelle que la ville de New York peut être l’écrin idéal pour des jeux de couleurs. A noter que la pluie renforce facilement ces effets par le jeu sur les reflets. On notera néanmoins que la fin se termine dans un flou correspondant à l’état de fatigue de Ming, un flou qui nous laisse un peu dans l’incertitude, car au bord de l’évanouissement, il peut arriver n’importe quoi à ce jeune homme courageux mais très fatigué.


Précisons que Ming est marié, mais que sa femme est restée en Chine. Et s’il possède une photo de leur enfant, Ming n’a jamais pu le voir. Sa situation n’étant guère brillante, on ne sait pas du tout s’il peut espérer retrouver sa famille dans un avenir raisonnable. Le film dresse donc un constat dramatique sur la condition de ces Chinois venus tenter leur chance aux États-Unis, mais qui s’y heurtent à pas mal de difficultés. S’ils ont un peu d’argent et un toit sous lequel dormir, ils restent les parias d’un pays où les écarts de richesses sont criants. Surtout, on sent que leurs perspectives de changer de condition, de s’élever dans la société sont bien minces.


En tant que coréalisateur de ce film, on sent que Sean Baker a profité de la connaissance du milieu des immigrés clandestins venus de Chine de Tsou, mais qu’il n’a peut-être pas eu toute la liberté qu’il pouvait souhaiter pour filmer. Ainsi, le film s’attarde trop sur ce qui se passe en boutique et qui s’avère beaucoup moins intéressant que les mésaventures de Ming. C’est peut-être la raison pour laquelle Sean Baker a enchainé avec Prince of Broadway où il s’intéressera à d’autres immigrés clandestins, vivant à New York. Tout en abordant un thème assez similaire à celui de Take out, il fera sans doute œuvre plus personnelle, notamment en évitant toute utilisation esthétisante de la couleur (il y viendra plus tard). Quoi qu’il en soit, il reste sur sa description des marginaux du rêve américain.

Electron
7
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le 9 oct. 2024

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