Intrigué par la fort jolie bande-annonce, incité par les prix et les critiques presse, j'allais voir Take Shelter rempli de l'espoir de bien commencer l'année cinéma 2012. Au prix de quelques SPOILS je vais vous expliquer pourquoi ca n'est malheureusement pas le cas.
Take Shelter n'est pas un mauvais film, il est même plutot bon, mais il cumule un certain nombre de travers contemporains qui m'exaspèrent un peu plus à chaque film.
Commençons par la fin, cette fin qui n'en est pas une, cette fin ouverte comme les jambes de Clara Morgane ou la gueule de Frédéric Lefebvre. Depuis quand les réalisateurs se sont-ils mis d'accord pour ne pas terminer leurs films? Depuis quand, pour ne froisser personne, s'interdit-on de conclure une histoire? Pour finir ca devient ridicule: "trop positif froisserait le critique, trop négatif froisserait le spectateur... Bon, faisons une fin ouverte, tout le monde sera content!" Et visiblement ca fait de la bonne bête à festival.
Ces dernières minutes, en plus d'être inutiles (la corde évidente du "et s'il avait raison?" qui brouille un peu le sens du réel et de la folie chez le spectateur, a déjà été utilisée 15 minutes plus tot), se révèlent nuisibles au message général du film, qui cherche à faire partager une situation de handicap mental tout ce qu'il y a de réaliste. Dommage, car de ce point de vue le reste du film est réussi: la naissance et le développement de la maladie sont bien montrés, du cauchemar aux hallucinations à l'état de veille. L'impact de ces altérations de la perception sur la vie quotidienne du personnage est crédible à l'exception de cette propension au silence ou aux monosyllabes: si je fais deux cauchemars atroces d'affilé, je vais en parler, pas juste dire "I'm fine", "I'm ok", "Just go", etc...
Et vient selon moi le deuxième gros point noir du film: l'absence de dialogue et les gros yeux significatifs. Ca aussi c'est une mode, réminiscence de Drive. Je veux bien qu'on ne soit pas très bavard et qu'on s'ennuie un peu dans son bled en campagne, tout ca, mais quand même. C'est ta femme! C'est ta fille! C'est ton pote ! Enchaine 3 phrases dans le film s'il te plait ! Et vous autres, tous les personnages secondaires, c'est pareil! Et puis souriez ! On a l'impression que vous sortez en permanence d'un enterrement. Pourtant vous ne mourrez pas de faim! Vous ne venez pas de vous faire amputer! Ok il y a peut etre pas grand chose à faire dans le coin mais faut pas exagérer. Les repas dominicaux où les 12 convives ont le regard plongé dans leur assiette et ne décochent pas une phrase ca va 5 minutes.
A la place des dialogues on a droit à une soupe d'instruments qui s'accordent. De longues notes de contre-basse se battent en duel avec de longues notes de violons durant un bon tiers du film, sans vraiment de raison, juste pour meubler un silence par trop audible et pesant. Maigre palliatif qui n'aurait pas de raison d'être si les personnages étaient un peu plus vivant (autrement dit si un peu plus d'effort avait été accordé aux dialogues), ou si le film avait été raccourci en conséquence.
Bon, je ne veux pas massacrer le film sous prétexte qu'il concentre certains cotés agaçants du cinéma "de bon goût" d'aujourd'hui (à savoir des personnages mutiques et froids, une soupe omniprésente, et une fin sans fin). Le propos (l'apparition d'une maladie mentale) est intéressant et honnêtement traité, le tout assaisonné de scènes de cauchemars angoissantes à souhait et de jolies ambiances atmosphériques. Mention spéciale pour les superbes séquences de nuées d'oiseaux.
Vu d'un peu plus haut, le film livre un second message "écolo" contemporain bien plus général, et typiquement américain. Take Shelter aurait difficilement pu voir le jour à une autre époque et ailleurs qu'aux états-unis. Curtis travaille dans une carrière où il fait des forages, et la voiture est omniprésente dans film (traduisez: exploitation à outrance des ressources naturelles et pollution). Les angoisses de Curtis s'annoncent par la montée d'une tempête et une pluie sale (traduisez: j'ai peur des conséquences de mon mode de vie).
Difficile de ne pas faire le parallèle avec une société qui prend soudainement conscience que son mode de vie polluant agresse la planète, et dont les croyances judéo-chrétiennes font des catastrophes climatiques récentes l'expression d'un châtiment divin, une réponse à la culpabilité ambiante.