Prenez un shaker et mélangez, à doses égales, la menace d'une catastrophe naturelle, plongez-y une famille américaine catholique tout comme il faut, saupoudrez d'une esthétique onirique, vaguement magritienne, puis quelques scènes façon angoisse/horreur, de bons dialogues bien appuyés pour bien retenir l'attention du possible spectateur niais, et vous obtiendrez take shelter, cet énorme mensonge cinématographique qui confond à peu près tout avec une rigueur et une propreté saisissante, accumulant tous les clichés de fond comme de forme, réduisant même toutes les tensions possibles d'un pitch de départ intéressant à des lenteurs interminables, où il n'y a rien plus rien d'autre à voir qu'un parfait mauvais film américain.
Déraison :
Semblant proposer au départ l'irruption d'éléments inquiétants dans le paysage tout en quiétude qui surplombe le foyer mais surtout la tête de Curtis, cette branche fantastique est finalement assez platement menée et laisse la place au drame, qui lui, baigne dans le conformisme américain, où la gestion de l'argent et du fragile patrimoine que tente de se constituer ce couple plein d'attentions et de bonnes volontés constitueront les seules réponses apportées à la dimension d'un personnage dont l'intériorité aurait pu être le sujet véritable du film. Car si pourtant, tout semble se lire sur le visage omniprésent de l'acteur Michael Shannon, dont on ne reprochera rien à son interprétation, c'est bien ce qui se lit qui fait preuve d'un arriérisme grandiloquent sur la complexité de l'angoisse de l'être humain. Le film convoquera donc l'imagerie des films fantastiques pour illustrer les rêves de Curtis (sa femme tout près d'un couteau posé sur une planche étant le summum de l'ineptie), en ne les considérant que comme prédictions, obligatoirement suivies de ses réactions immédiates sur le terrain, réactions qui augmenteront le soupçon de sa folie chez ses proches. Curtis l'explique lui-même dans un contresens fameux : «ce n'est pas juste un rêve, c'est une sensation ». Autrement dit, le film semble postuler que les rêves, auxquels il ne faut accorder aucune attention puisqu'ils ne sont que des rêves, ne font sens que lorsqu'ils évoquent un fait réel. Nous voilà revenus au temps pré-freudien où le rêve est magique et énonce clairement ce qu'il est.
La folie supposée de Curtis, grossièrement forcée par l'insistance sur l'hérédité probable de celle-ci, devient le déclencheur des réactions morales de son entourage. Curtis se tient lui-même comme conteneur de cette folie, en se comportant comme un névrosé bavardant sur sa prétendue psychose avec une psychologue, et oscille de manière improbable entre actes déraisonnables illustrés autour de l'abri anti-tempête qu'il construit, et acceptation raisonnable de la loi sociale et morale qui lui est imposée. Il veut comprendre, et emprunte des livres à la bibliothèque, il se soigne, mais pas trop loin pour ne pas dépenser trop d'argent, il hypothèque la maison et emprunte plus auprès d'un banquier qui le met bien en garde du risque qu'il prend . Etre fou, dans take shelter, c'est dépenser trop et mal, et s'éloigner du bonheur familial dans lequel on dine le dimanche avec ses parents et/ou beaux-parents, et où l'on part au bord de la mer pendant les vacances.
Sens et signe :
Un parsèmement des sens, pour illustrer le sixième, dont serait atteint le héros, nous donne une petite fille sourde, qui signe et que le père ne comprend pas toujours, maladresse générale paternelle qui n'aura d'autres buts que d'être réinjectée dans le quotidien familial, avec Curtis qui laisse trainer ses vieilleries dangereuses dans le jardin, une mère qui ne fait que montrer ce qui est bon pour l'enfant, et s'accroche à la vacuité d'un programme d'activités journalières à effectuer, sans cesse remis à jour dès le réveil de son mari, qui, et c'est là le grand drame, n'arrive plus à suivre et se rend à une réunion de parents d'élèves sans avoir pris une douche. Bref, il sent mauvais, mais de ce sens là, on peut encore en rire en famille. Un sixième sens qui serait le signe et qui entraîne donc l'affaiblissement des autres, comme dans une juste mesure chrétienne : le toucher, il le perd lui-aussi, effrayé lorsque sa femme lui effleure le bras. Il manquerait presque le goût, mais quelques scènes attrapent le coche grâce au contenu insipide des assiettes servies par cette pauvre Jessica Chastain, actrice condamnée à errer dans une cuisine et oeuvrer pour l'équilibre de tous, en mère au foyer modèle, et femme de déséquilibré (cf tree of life).
On obtient donc une belle recette d'un homme incompris par tous, clamant une vérité à laquelle personne ne prête l'oreille à part sa fille, sourde bien entendu, qui, heureusement à la fin, pointera du doigt le véritable ouragan à l'horizon. Car il faut bien donner raison au héros qui n'a fait que s'écarter du droit chemin pour le bien de sa famille. Petit.