A sa sortie, Take Shelter a été acclamé par une critique quasi-consensuelle. Et pour causse, Jeff Nichols, jeune réalisateur indépendant, y fait preuve d’un talent certain et prometteur en narrant l’histoire de Curtis LaForche (génial Michael Shannon, comme d'habitude). Cet américain moyen qui, avec sa femme (Jessica Chastain, impeccable) et sa fille, vit une vie tout à fait banale jusqu’à ce qu’il commence à avoir de drôles de visions : le ciel se fait menaçant, il se met à pleuvoir une pluie épaisse et huileuse, les animaux se comportent de façon étrange et les gens finissent par l’attaquer, lui et sa fille…. Ces visions d’apocalypse se faisant de plus en plus inquiétantes, Curtis essaie alors de se préparer aux deux éventualités qui lui viennent à l’esprit : soit il devient fou, soit ses rêves annoncent une future catastrophe. Et du début à la fin, le film balancera entre ces deux hypothèses. Car l’excellence de Take Shelter tient dans la multitude des niveaux de lecture qu’il propose. En ce sens Jeff Nichols applique un parti pris cher à Stanley Kubrick : le maintient de l’ambiguïté. Tout au long du film le jeune réalisateur entre-ouvre les portes à plusieurs interprétations plausibles ne s’excluant aucunement les unes les autres. Mais à aucun moment, il n’en privilégie une au détriment d’une autre. Jusqu’à la toute dernière scène, il refusera de donner une réponse définitive, ne nous laissant que des pistes.
Aussi, une première lecture, la plus évidente, consisterait à voir en Take Shelter un film catastrophe. En effet le film distille une ambiance qui n’est pas sans rappeler certains films de fin du monde et notamment ceux de M. Night Shyamalan. Comme dans Signes, les enjeux sont resserrés autour d’une famille en difficulté, l’atmosphère se fait pesante, anxiogène (la scène dans l’abri anti-tornade), et la menace, plutôt que d’être montrée et identifiée, reste suggérée et non-clairement définie. C’est surtout dans les regards apeurés de Curtis qu’elle prend corps. Et comme dans Phénomènes, il y a cette idée d’une vengeance de la Nature, cette impression que les éléments se révoltent contre l’Homme qui exploite la Terre (le métier de Curtis consiste justement à forer des trous dans celle-ci). On pense alors aussi à Terrence Malick : une des références avouée de Nichols. Mais chez Malick, la Nature acquière une dimension divine par l’émerveillement qu’elle produit chez l’Homme. Alors qu’ici, les phénomènes naturels que Curtis voit évoquent d’avantage un châtiment divin (une scène rappelle même Les Oiseaux d’Hitchcock). Ajoutez à cela quelques discrètes références religieuses, et on a tôt fait de penser à Noé et au déluge biblique.
Mais on peut aussi voir cette histoire comme une métaphore de la société américaine. En effet, en réaction à la menace qu’il sent venir, Curtis devient complètement paranoïaque. Et l’on sait que, entre la Guerre Froide et le 11 septembre, la société américaine est particulièrement sujette à se type de comportements (théorie du complot, peur de l’étranger, de l’invasion, de la fin du monde…) ; des comportements que Hollywood à toujours su prolonger et entretenir. Les peurs de Curtis reflètent donc les peurs de la société américaine contemporaine, à commencer par la crise économique dont l’ombre s’insinue dans le film. Quant à la façon dont Curtis se prépare pour l’éventuelle catastrophe : en réparant son abri anti-tornade, en faisant des stocks de nourritures, et en achetant des masques à gaz, elle n’est évidemment pas sans rappeler le survivalisme.
Enfin (et surtout), Take Shelter aborde aussi la question de la maladie mentale, et ce, de façon subtile et pertinente, en adoptant le point de vue du malade. Le film montre ainsi comment la folie de Curtis change progressivement le regard (terribles regards) que ses proches portent sur lui, comment ceux-ci, progressivement, s’éloignent de lui dans la méfiance jusqu’à le rejeter, le laissant seul, incompris du monde. Cet isolement est d’ailleurs intelligemment souligné, comme tous les critiques l’ont remarqué, par le handicap de la fille de Curtis, malentendante.
Au final, c’est probablement la fin ouverte de T*ake Shelter* qui résume le mieux le procédé employé tout au long du film par Jeff Nichols. Sans en révéler le contenu, on se contentera de dire que cette prodigieuse dernière scène, non content de prolonger les questions posées dans le reste du film, en apporte de nouvelles, laissant le spectateur stupéfait devant une image inoubliable.