Take This Waltz par Arkady_Knight
« I think in the days of Bette Davis and Joan Crawford and Barbara Stanwyck characters, people accepted that you could have a protagonist that was a bit of a mess and a piece of work. And now if there’s anything flawed or unlikeable about your lead character, it’s assumed that you could not possibly have intended that, because it’s forbidden in mainstream film now. » (Interview de Sarah Polley, A.V. Club, 2012)
Le comédie romantique est sans doute le genre le plus détestable du cinéma actuel. Aussi, l’incursion de Sarah Polley dans ce genre a de quoi rendre dubitatif. Le pitch n’aide en rien : « Margot aime son mari Lou, mais Margot aime aussi son mystérieux voisin Daniel. Que va-t-elle choisir entre la monotonie heureuse de sa vie de couple, et aller se faire mettre par ce charmant inconnu ? ». Seul le classement R du film laisse espérer un peu de fantaisie.
Le résultat se révèle pourtant largement positif, même si « flou », Take this Waltz étant tout aussi fascinant qu’agaçant.
Fascinant, car la réalisation est lumineuse (la photographie de Luc Montpellier est superbe), inventive et sublime la déjà sublime Michelle Williams (qui livre une fois de plus une composition à tomber par terre). Je l’ai déjà dit à propos de Stories We Tell : Sarah Polley a un sens de l’intime qui donne une justesse, une conviction et une âme à ses personnages.
Agaçant, car son personnage principal (Margot) finit par décider d’aller se faire mettre (spoiler ?), alors qu’il paraissait plus « logique » / « intelligent » / « moral » de ne pas le faire. L’inconstance de son personnage peut donc faire tiquer, à moins, finalement, d’admettre que Take this Waltz n’est pas une comédie romantique, mais bel et bien un drame intimiste, centré sur l’inconstance, la fragilité et la stupidité des sentiments et des décisions humaines. Margot, de par ses choix, n’est pas attachante, mais elle est peut-être du coup bien plus crédible.
Sarah Polley s’explique (cf. plus haut) sur le caractère de son personnage principal, et sur sa volonté de se démarquer des schémas hollywoodiens modernes.
J’ai envie de souligner 4 scènes, importantes, marquantes de Take this Waltz :
- La scène de la douche. On y voit les élèves d’un cours de gymnastique aquatique prendre une douche commune après le cours. Sarah Polley filme de pied ces femmes, de tous les âges, entièrement nues. Elle évite le piège de l’érotisme, d’un voyeurisme sensuel, et celui de la boucherie, de la viande froide. Ces deux approches faciles auraient consisté à dissocier les individus de leurs corps ; Sarah, au contraire, livre ses personnages entiers, réels, sans pudeur et sans effet de manche (et avec une conscience aiguisée de cela – cf. le même interview). Cette scène donne un supplément de « chair » à tout le film, d’autant que les femmes les plus âgées s’y moquent avec une douce ironie des questionnements existentiels des plus jeunes.
- La scène du manège. Margot fait découvrir à Daniel son attraction préférée : un manège qui tourne à toute vitesse, dans le noir, avec de la musique et des lumières de boite de nuit – métaphore assez explicite de l’existence, où Margot passe d’un sentiment extrême à l’autre (la complicité amoureuse, le ressentiment las, la joie éphémère) avant que le manège ne s’arrête dans une mort clinique.
- La scène de sexe (car, rappel, le sage nous dit que l’on doit « juger un film à l’aune de sa scène de cul »). Échappant là aussi aux pièges du cinéma moderne (le sexe mou habillé ou le sexe cru viandard), Sarah Polley livre un montage classieux, calqué sur la scène du manège, évoquant d’un ample geste circulaire les différentes phases du rapport amoureux, le tout magnifié par le Take this Waltz de Léonard Cohen (procédé qui ne peut que renvoyer à la scène de la danse sensuelle d’Exotica, film d’Atom Egoyan avec Sarah Polley).
- Le prologue (un flash-forward qui se conclut dans la scène finale du film). Scène sans parole, légèrement floutée, où le passage de la chanson fétiche de Margot la fait passer de la légèreté d’un quotidien joyeux à la lourdeur implicite de ce même quotidien (scène confirmant au passage que Margot en allant vers « l’inconnu » est finalement retomber dans un autre « quotidien »). Le sens de l’intime, le poids des regards portés par cette scène ouvrant et clôturant le film, suffit, à mon sens, à légitimer l’ensemble du métrage, et à confirmer la position incontournable de Sarah Polley et de Michelle Williams dans cette cartographie parallèle du cinéma moderne.
LOU
It takes courage to seduce your husband?
MARGOT
Yes. It takes all the courage in the world.
A.K.