Mis à part quelques amateurs de solutions expéditrices et démagogiques, tout le monde connaît le phénomène: c'est l'usage de la violence fantasmée (cinéma, littérature, jeux, musique, BD, séries) qui permet à certaines personnes de se débarrasser de celle, réelle, qui pourrait les pousser à égorger un voisin amateur de jeune rap marseillais en milieux caniculaire, ou un chauffeur de taxi vindicatif et prosélyte sur des sujets comme la peine de mort envers les utilisateurs de plateforme de service concurrents quand il s'agit d'enfants en bas âge.
En prolongeant l'idée, et en cherchant à comprendre ce qui peut nous pousser à raconter et transmettre, depuis des siècles, des histoires pleines de personnages archétypaux et de situations aussi éloignées de la réalité que peut l'être un discours d'une organisation patronale a la veille du vote d'un projet de loi sur le temps de travail, on peut tenter de rationaliser et se dire que le processus d'invention (et de transmission) du conte est identique à celui décrit un peu plus haut. Plus les humains absorbent de légendes populaires en les acceptant en tant que telles, moins, peut-être, ont-ils ont besoin d'accepter qu'une fable plus officielle puisse dicter les faits et gestes de leur quotidien.
Dit autrement, plus on est fan du seigneur des anneaux, moins on a besoin de la bible (Harry Potter et James Bond, la Torah et le coran fonctionnent aussi pour cette phrase, si cela vous parle plus).
En tout cas, cette théorie m'irait plutôt bien à titre personnel, et serait susceptible de me fournir des explications rassurantes sur mon amour immodéré pour les histoires imaginées, non validées par une autorité religieuse.
Le conte dans le rouge
Si la tentative de Matteo Garrone ne manque pas d'arguments plaidant en sa faveur, commençons par ce qui fâche, afin d'évacuer au plus vite une éventuelle contre-argumentation stérile. L'ensemble est visuellement parfaitement maîtrisé, musicalement superbement calibré, et le tout est globalement très soigneusement cadré.
Mais cette accumulation de contrôle à deux conséquences.
Celle d'abord de paradoxalement ôter une certaine noirceur dont le film tente pourtant de ne pas faire l'économie par ailleurs. Car la qualité plastique de la photo dévitalise et contredit la saleté ou la cruauté revendiquée de certaines situations ou de certains personnages, en employant certains codes de la pub. Et c'est bien la deuxième faiblesse, à mon sens, du style choisi par Garrone. Certains plans, en début de métrage, pourraient nous vanter les mérites d'un yaourt ou d'une huile d'olive locale sans que la musique de Desplat, elle même un poil trop policée et convenue, ne vienne en contredire la teneur.
Magic Art, à puce
Et c'est à peu prêt tout ce que je pourrais retenir contre les codes narratifs utilisés réalisateur italien. Contrairement à ce que j'ai pu lire par ailleurs, la relative naïveté des effets spéciaux concernant le bestiaire fantastique, par exemple, ne contredit en rien la fantasmagorie déployée, propre à l'univers.
De même, l'enchâssement de trois histoires n'empêche pas le plaisir du spectateur, dans la mesure où cela permet de sortir de la gangue corsetée des contes traditionnels. Un canevas agréablement inédit, sans morale particulière, dont une majorité de scènes interdit de prévoir celles qui suivent.
Le tout avec une débauche de chatoyances dans les détails, de fulgurances dans les costumes, et de magnificences dans les décors.
Pour résumer ce dernier paragraphe, on peut parler d'immoral dans les chaussettes.
Après, que nos amis du "masque et la plume", sur France Inter, parlent de clip interminable de Mylène Farmer ou de visite bloquée du musée Grévin, pourrait prêter à sourire si seulement on avait pas en tête la liste des derniers bousins pour lesquels il se sont pâmés ces dernières semaines. Mais c'est une autre histoire.
Il est sûr qu'il manque sans doute un petit quelque chose a ce Tale of Tales, une vitalité propre, une envie profonde, une faim d'en découdre réelle, pour transformer l'essai de manière totalement convaincante, mais rien dans tout ça n'est à mon sens définitivement condamnable.
Le plus important en regardant le film est de parvenir à conserver un regard lucide et clair sur ce que l'on voit, les pires fables étant toujours celles que l'on se raconte à soi-même.