Situé entre Wall Street (1987) et Né un 4 Juillet (1989), Talk Radio d’Oliver Stone est loin d’être l’un de ses longs métrages les plus populaires et la raison en est des plus simples, il s’agit sans doute de son film le plus méconnu et sans conteste le plus insolite. Entre les années yuppies et les années (post-)Vietnam, ce Talk Radio apparaissait dès lors comme un OFNI. Mais l'intérêt suscité par sa sortie inédite en DVD (le 18 janvier dernier distribué par Carlotta Films) pouvait désormais se nourrir paradoxalement de son ancienne confidentialité, car c’était mal connaitre le réalisateur de Salvador ou le scénariste de Scarface, et en dépit de l'accueil timide qu'il connut à sa sortie aux États-Unis, fin 1988, Talk Radio provient bien du même moule : une satire crue et féroce du monde des médias.


A la nuit tombée, Barry Champlain (Eric Bogosian) anime l'émission de radio intitulée Night Talk, émission de libre antenne pour KGAB, radio locale située à Dallas. Une émission populaire ou plutôt un véritable déversoir de la frustration humaine et réceptacle de la haine ordinaire, dont le cynique animateur vedette n'est autre que le catalyseur. Barry y provoque ainsi chaque soir son auditoire de ses multiples saillies verbales au risque de voir s'accroitre les menaces antisémites dont il devient de plus en plus la cible. Or ce rendez-vous nocturne des paumés, racistes, junkies et pervers si affinités venus jouer les faire-valoir et autres bouffons pathétiques pour le maître des ondes, doit désormais être diffusé à l'échelle nationale. Venue à la demande express de son ex-mari pour fêter cette consécration, Ellen (Ellen Greene) devient bien malgré elle la témoin impuissante de la solitude et de la mégalomanie de Barry...


Adapté de la pièce de théâtre écrite par l'acteur Eric Bogosian et librement inspiré de la biographie Talked to Death sur la vie et le meurtre d'Alan Berg, animateur radio assassiné par un groupe d'extrême droite en 1984, Talk Radio s'inscrit comme une réflexion sur le pouvoir des médias et en particulier les dérives que peuvent engendrer la liberté de parole, quand celle-ci est utilisée à mauvaise escient, sacrifiée sur l'autel de la sacrosainte paire audimat/vedettariat.


Premier défi pour Oliver Stone, mettre en scène un film centré sur un personnage qui ne fait qu'une seule chose : parler, parler et encore parler, car Barry Champlain monopolise autant l'attention du spectateur que de celle de l'auditeur : aussi honnête qu'excessif, aussi haïssable qu'autodestructeur. Mais si Stone se concentre au départ sur l'enfermement et la paranoïa grandissante du personnage, le réalisateur de JFK en guise de contrepoint, et pour marquer davantage ce point de non retour, insère également des flashbacks (de manière plus ou moins convaincantes, ceux-ci ayant le désavantage de diluer et de ralentir le récit). Ou comment ce vendeur de vêtements, au départ vulnérable, est devenu l'animateur de radio plein d'assurance, d'aplomb et de provocation qu'il est devenu. Seconde difficulté, tourner dans un seul lieu, à savoir une station de radio et en particulier un studio en évitant le piège du théâtre filmé. On soulignera de ce fait la création de ce studio factice, laboratoire et lieu propice à la maestria des mouvements de caméra, quasiment aucune steadycam n'ayant été utilisée, aux techniques optiques ainsi qu'à la photographie de Robert Richardson.


Au delà de la performance d'Eric Bogosian, qui lui valut un Ours d'Argent au festival de Berlin en 1989, les seconds rôles de Talk Radio ont autant une place importante : Ellen Greene, Alec Baldwin, John C. McGinley (le fameux dr Perry Cox de Scrubs), Michael Wincott (qui reprend son rôle de Kent qu'il interprétait déjà pour la pièce de théâtre de Bogosian) et bien évidemment les innombrables voix off qui donnent le change au monstre Champlain.


Talk Radio ou un film à petit budget légèrement inégal, tourné en 5 semaines, sans tête d'affiche pour un budget d'environ 4 millions de dollars qui tend à prouver que Stone n'est que meilleur quand il ne s'embourbe pas dans une mise en scène aussi lourdingue que ses sujets.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2012/02/talk-radio-oliver-stone-1988.html

Claire-Magenta
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le 30 janv. 2013

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