Bidzina Ivanichvili entretient une drôle de collection, une collection d'arbres, tous plus immenses les uns que les autres. Pour ce faire, il fait venir à grand frais et à grosses gouttes de sueurs de colossaux spécimens afin de les conserver dans son jardin privé, où il seront bichonné à coup de tondeuses à gazon et d'arroseurs automatiques.
Ce documentaire contemplatif, avec des plans remarquablement esthétiques, propose de suivre les parcours de ces arbres, que ce soit voguant sur la Mer Noire ou pris dans une lente processions à travers villages et futaies. Ce sont toutes les relations que ces arbres ont pu enregistré au cours de leur voyage qui sont retracées également, des villages dans lesquels ils étaient jusqu'à peu enracinés au personnel les entretenant dans le complexe de Ivanichvili.
Au-delà de sa beauté, ce film ouvre l'esprit à de nombreux questionnements. De prime abord, il semble évident que c'est avant tout une lubie de milliardaire décadent qui s'impose à nos yeux, monétisant la nature et l'extorquant aux simples gens contre rémunération. Il y a sans doute de cela, mais le tableau est certainement plus complexe.
En effet, comment naît l'attachement à un arbre? Pourquoi ces habitants, ne prêtant guère attention à leurs arbres auparavant, s'émeuvent désormais de leur départ? Ces arbres faisaient après tout partie du décor, et c'est sans doute cela qui les rend irremplaçables - ils incarnaient une certaine image de la stabilité, de l'immuabilité et de la sécurité. Les générations grandissaient à leur ombre, remplacées par les suivantes, mais les arbres restaient. Toute cette mythologie villageoise s'en trouve bousculée par l'irruption de ce milliardaire et de sa modernité (il apporte avec lui une route bétonnée).
Mais l'attachement aux arbres n'est sans doute pas qu'identitaire. Dans le film, on peut voir un homme récolter du bois pour se chauffer, juste avant un plan sur un arbre extrait de son milieu. Pourquoi la première pratique serait-elle normale et pas la seconde? Est-ce une question de taille? Non, on abat bien des arbres sans s'en émouvoir. Est-ce une question de distance ou d'échelle? Non plus, le bois est bien souvent acheminé aux quatre coins du globe. Qu'est-ce qui dérange donc? Eh bien, probablement le caractère superflu de la pratique. En effet, utiliser du bois pour son propre usage, cela semble normal, mais Ivanichvili ne fait aucun usage de ces arbres, ils les prend uniquement pour leur beauté. Et c'est peut-être là tout le paradoxe, les villageois ont un rapport utilitaire à leurs arbres, pour le chauffage ou les châtaignes ; Ivanichvili peut-être aussi à des fins de distinction, mais on peut presque se demander si ce n'est pas lui qui est le moins utilitariste et respecte le plus les arbres dans leur essence. Ainsi, c'est tous les rapports entre humains et non-humains, nature et culture qui peuvent être questionnés à travers ce film.