Tango par Suzanne Marie Bénac-Colin
Un chef d'œuvre.
Moi, de Carlos Saura, je ne connaissais que Cría Cuervos, qui m'avait déjà foutu un coup. Puis Flamenco ensuite, qui m'avait bien plu aussi. Et trois ans après Flamenco, Carlos l'ibérique puise une nouvelle fois dans le folklore hispanique et nous pond une allégorie politique sur le rapport soivent dramatique et violent des hommes à leur histoire. Alors oui, "madre de dios, o mamamia, aiaiaiaaiaaa", oui, le folklore hispanique, c'est le drame, le sang, la Corrida, Carmen et j'en passe. Le Tango n'est qu'un détail, me dira-t-on !
Et de fait, on croit d'abord à une immersion un brin folklorique où chaque scène serait prétexte à une démonstration de la fameuse danse argentine traditionnelle, sensuelle et dramatiquement expressive. La première scène veut d'abord nous faire croire que l'intrigue va rapidement se limiter au désespoir amoureux de Mario, le metteur en scène désespéré, quitté par sa danseuse bonnasse de femme (la pulpeuse Sandra Ballesteros) et qui va, sur son nouveau projet, tomber fou amoureux de la jeune nouvelle petite recrue, protégée par un gros mafioso dégueu et influent, qui est, pour empirer toute l'intrigue, la principale source de financement du spectacle. Bon !
Le film est absolument superbe, que ce soit la scénographie des danses, on a droit à Juan Carlos Copes en plus -meilleur danseur de tango de tous les temps-, leurs chorégraphies et la superbe musique signée Lalo Schiffrin mais également d'un pur point de vue cinéma, lumière et mise-en-scène plus qu'extra et inspirée de Carlos Saura.
Cependant, -1 point pour la longueur. Parce que grand(e) inconditionnel(le) du tango ou non, il doit être difficile de ne pas bailler pour certain devant la répétition des scènes dansées (elle représente clairement plus de la moitié du film). Mais moi j'aime la danse dansle cinéma, et je m'ennuie justement dans les scène où elle n'est pas présente, et surtout la scène de La Represiòn, qui illustre un grand moment politiquement (?) tendu qui met très longtemps à s'installer. C'est aussi une des scènes que je n'arrive toujours pas à comprendre, bien qu'elle finisse par être sublime. C'est un des seuls reproches que l'ont pourrait faire d'après moi : le parallèle et la mise en abyme du film dans le film fonctionne assez mal, on ne parvient pas toujours facilement à trouver des liens entre le film qui se fait et le film que l'on voit.
Mais c'est bien dans sa dernière demi-heure que le film atteint une certaine apogée. Le tango, ça ne tient pas son héritage des salons, bien qu'aujourd'hui il y soit pratiqué en quasi exclusivité. Il devient l'expression d'une insoumission dans un immense tableau -on peut dire final- "de toute beauté". Après un long refoulement, c'est toute l'histoire contemporaine de l'Argentine qui nous explose à la figure. Le pouvoir autoritaire, l'armée, la torture, les nombreux opposants tués anonymement, ...
La dimension collective ne remplace pas la perception individuelle, mais la complète plutôt, et l'enrichit. Le corps et le désir sont politique. La réaction des producteurs du projet de notre Mario donne d'ailleurs lieu à un échange très savoureux, pendant lequel Carlos Saura règle sûrement ses comptes avec les dirigeants qui travaillent à l'occultation du passé.
C'est au travers de cette allégorie doublée d'une mise en abyme encore plus agréable à "déguster" lors de son dénouement final qu'on réalise à quel point la filmographie du réalisateur reste partiellement connue. Tango est donc vraiment un chef d'œuvre salutaire.
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