Troisième long métrage de Pierre Etaix, Tant qu'on a la Santé est un film à sketchs qui selon les versions comprends des segments différents. La version dont il est question ici se compose de quatre petites histoires, Insomnies déjà sorti en court métrage en 1962 puis Le Cinématographe, Tant qu'On A La santé et Nous n'Irons Plus Aux Bois. Quatre petites bulles intemporelles d'humour burlesque dans lesquelles pointe ici et là une critique tendre mais aussi féroce de la société.
Dans le premier volet on suit un homme qui victime d'insomnie se met à lire un roman d'épouvante avec des vampires, le récit prend alors vit sous nos yeux tel qu'il est perçu par le lecteur. Pierre Etaix nous offre ici un petit exercice de style de cinéma d'épouvante gothique très convaincant dans un noir et blanc aux teintes de nuits bleues métalliques du plus bel effet. La mise en scène, le choix des cadres, le travail sur les jeux d'ombres et de lumières donne à ce récit de vampire une patine très gothique et premier degré qui se retrouve perturbé de façon humoristique par l'interprétation et les pratiques du lecteur comme lorsque l'image se retrouve d'un coup dessus dessous lorsque dans un moment de fatigue le personnage tient son livre à l'envers … L'influence du récit sur l'imaginaire du lecteur et ce qu'il perçoit dans sa chambre à coucher et l'autre moteur comique de ce court récit très réjouissant.
Le Cinématographe commence de manière assez classique avec un spectateur (interprété par Etaix lui même) qui doit subir divers incivilités et petites contrariétés lors d'une séance de cinéma . Spectateur qui ronfle, bruits dans la salle, recherche de la bonne place, rangée obligé de se lever à chaque fois qu'un spectateur quitte son siège sont autant de prétexte à une série de gags toujours bien sentis et en miroir avec une certaine époque durant laquelle le cinéma comptait encore ouvreuses, entractes, esquimaux, balcons et réclames. D'ailleurs dans un second temps ce court segment va fustiger la société de consommation et la publicité dans une longue et très amusante fausse réclame dans laquelle on voit une petite famille moderne et modèle nous vanter les bienfaits de plusieurs produits farfelus comme les lunettes invisible, le produit vaisselle si puissant qu'il efface les motifs des assiettes, une huile qui sert aussi bien pour la bagnole que la cuisine, la santé et la cosmétique ou encore une bombe détachante aux multiples usages qui fait aussi de délicieuses tartines pour le goûter. Bien avant Jean Yanne, Coluche ou Les Nuls cette fausse pub est à la fois drôle et pertinente sur les dérives des pratiques commerciales et publicitaires, Pierre Etaix reprenant à merveilles les codes visuelles et l'interprétation un peu forcé des réclames de l'époque.
Tant Qu'On A La Santé poursuit dans cette même veine de critique douce amère et poétique de la vie moderne rythmé ici par le bruit des marteaux piqueurs, les embouteillages, la cohue et la pollution des voitures. Au son des travaux et d'un marteau piqueur Pierre Etaix nous sert toute une série de gags sur une vie chaotique et tremblotante faisant vibrer et tomber tout ce qui se trouve à l'image jusqu'aux notes d'une partition. Fustigeant ensuite le culte polluant de la voiture ce court petit film dresse le portrait d'une société en stress permanent terminant sa course chez un médecin presque plus malade et anxieux que ses patients et qui prescrit médicaments et repos à tour de bras. Pierre Etaix interprète justement un de ces patients qui se retrouve à la table d'un restaurant pour prendre sa prescription médicale mais à la suite de nombreux quiproquos, de maladresses et d’inattentions c'est l'un de ses voisins de table qui va se retrouver gaver de médicaments dans une mécanique imparable de gags réglés ici comme du papier à musique. Même si Pierre Etaix étire parfois un peu trop quelques idées de gags, ce segment est une petit merveille de comédie sociale sur une vie moderne déjà proche du burn-out.
Quittant la ville et son anxiogène folie moderne pour une partie de campagne Nous N'Irons plus aux Bois s'articule autour de quatre personnages avec un chasseur, un couple venu pour pique-niquer et un paysan qui refait sa clôture. Pierre Etaix signe ici un pur exercice de cinéma burlesque quasiment muet dans un noir et blanc aux teintes sépia pour une succession de gags souvent très drôles. Le chasseur un brin maladroit et ce couple cherchant l'endroit idéal pour un pique nique ne cesse de faire retomber la clôture que ce brave paysan tente de mettre en place et tous enchaînent bévues et maladresses pour notre plus grand plaisir de spectateurs ravis de retrouver l’esprit des histoires sans paroles. Le comique est souvent une affaire de rythme et de musicalité et sur ce segment Pierre Etaix fait preuve d'une parfaite et évidente maîtrise de l'exercice.
En ces temps moroses on ne va pas cracher sur la prescription du docteur Etaix qui nous offre ici quatre gélules de bonne humeur et d'humour absurde, léger, poétique et parfois féroce à consommer sans modération.