Ancrer un film dans un contexte actuel et post Covid est devenu une mode et presque un genre cinématographique à part entière. Comme si depuis lors, le monde du cinéma avait changé, sa vision aussi, et la présence croissante des nouveaux modes de communication avaient redessiné notre façon d'aborder nos vies respectives. Il me fut d'abord difficile de déterminer le réel intérêt de ce film. Soit un hommage à la musique et à ceux qui la font vivre si magnifiquement, ou un thriller psychologique aux faux airs de Fincher qui peine à trouver une intrigue intéressante sans s'essouffler. Il s'agit finalement ici d'une forte critique de nos actes et du cruel monde des médias, qui peut, en cas de déroute, faire chuter les plus grands de ce monde, comme l'est considérée Lydia Tar. En peignant sa toile de fond lente et monotone sur ce modèle, Todd Field peine à donner de la réelle profondeur à son intrigue, et le film tient debout grâce à une mise en scène épurée et grâce à une immense actrice à son chevet.
Dans un premier temps, le film reste captivant. La qualité de celui-ci réside dans sa capacité à éveiller les soupçons du spectateur et à le tenir en haleine face aux différents évènements qui viennent peu à peu troubler la vie de la cheffe d'orchestre. Si le film prend un intérêt grandissant dans sa faible transformation en thriller pour quelques scènes, la lenteur et le manque de clarté du scénario cristallisent quelque peu l'intrigue et la rendent même par moments d'un ennui difficilement compréhensible. Il faut alors s'en tenir à la performance de Cate Blanchett, qui remonte par des mouvements et un jeu tout autant épuré qu'une photographie qui laisse bouche bée par sa maîtrise. Tout est juste, ordonné, à l'image finalement d'un orchestre où tout doit fonctionner ensemble si l'on souhaite que le projet aboutisse et soit une réussite totale. Le tout n'est pas accordé ici, et les longueurs d'un scénario englué dans des termes trop spécifiques ou des allusions imprécises tendent à perdre le spectateur plus qu'à lui donner de véritables indices sur la suite de l'histoire. On retrouve ici cette désagréable impression qu'une note est jouée de travers, ou qu'un instrument ne va pas avec l'ensemble de l'orchestre. A partir de là, le film joue à l'envers, et peine à trouver son intérêt bien qu'il en reprenne par les dénonciations centrales de l'intrigue.
La chute, même la déchéance de la cheffe d'orchestre s'inscrivent en effet dans un contexte très actuel, où tout est utilisé pour vous desservir, et dans lequel le moindre de vos agissements peut être mal interprété. De cette façon, Lydia Tar subira les conséquences malsaines des réseaux sociaux et d'un modèle médiatique cruel et vicieux, qui prendra des proportions plus grandes encore dans le cadre de ses relations sociales. Un engagement pertinent donc, mais la question sociale et de milieu reste difficilement cernable et encore une fois trop imprécise pour séduire totalement.
Car dans le cas précis où le film présente un milieu très fermé et met en scène une élite dans un domaine particulier, le sens véritable de son message semble se détourner de celui profond. Nous sont alors présentés des personnages à l'aise dans un luxe presque trop important, des figures insupportables à la domination parfois incompréhensible, et des actes qui le sont souvent tout autant. Quoi qu'il en soit, la vision élitiste et luxueuse du milieu sépare le spectateur de ce qu'il regarde, et ce pour son plus grand déplaisir.
La performance de Cate Blanchett, déjà louée outre Manche et outre Atlantique, prend la dimension d'un grand rôle par la capacité de l'actrice à interpréter aussi bien la cheffe qu'est son personnage dans toute sa splendeur et dans ses accomplissements, mais également dans ce qu'elle possède de mauvais et de malsain. Une folie à peine voilée dans un cadre qu'elle ne maîtrise plus, lorsque sa baguette ne vient pas diriger son monde et peser sur ce qui gravite autour d'elle, mais aussi du génie dans sa façon de faire vivre la musique comme elle l'entend. Un rôle taillé pour elle, qu'elle habite à la perfection, et pour lequel elle semble tout droit lancée vers la statuette américaine...
Certains choix sont pour finir aussi intéressants qu'étranges, comme par exemple celui de ne presque par rythmer le film par une bande originale, seulement dans les quelques passages où l'orchestre joue son rôle à la perfection. Ici, on retrouve cette volonté de troubler le spectateur, mais la non présence de musique ralentit un projet qui souffrait déjà de grosses lacunes et longueurs scénaristiques.
Tar représente donc un tout assez homogène et construit, qui doit beaucoup à Cate Blanchett et à la qualité de sa mise en scène, et qui trouve difficilement le moyen de rattraper ses longueurs et son manque de rythme par plusieurs choix malheureusement infructueux...