Autrefois, on se donnait des frissons avec la peur du grand méchant loup, qui repose sur un mythe puisque les loups n’attaquent pas l’homme, ou celle des sorcières, elles aussi sorties de l’esprit tortueux des hommes, aujourd’hui, dans la lignée de La pianiste de Haneke, on effraie avec ce monde opaque et tellement différent de celui tellement humain de la musique « normale » comme le rap, j’ai nommée : la musique clââssique…


Voilà donc de nouveau un portrait de femme complexe, ambiguë, exigeante, peut-être légèrement moins psychopathe que le personnage de Haneke, mais à peine. Heureusement, le film est également d’un bon niveau, cela nous fait oublier le cliché.


Tár, jouée par une C. Blanchett impressionnante, est une chef d’orchestre exceptionnelle, à la tête du philharmonique de Berlin (quand on sait qu’il n’y a encore pas si longtemps l’orchestre refusait d’engager des femmes violoncellistes parce que jouer en écartant les jambes, quelle indécence mein Got !….) ; elle enseigne aussi à Juillard, voyage en avion privé très souvent, occupe des appartements et des hôtels luxueux. Évidemment, pour arriver au sommet, elle a dû être exigeante et a un caractère bien trempé. On peut même dire qu’elle est dure avec ceux qui ont le malheur d’avoir des faiblesses. Malgré ses tics, ses changements d’humeur, son côté hors-norme, elle inspire cependant de l’empathie. J’ai été étonnée de lire et d’entendre des critiques qui la considèrent comme manipulatrice - ou alors, la manipulation fait partie intégrante du génie. Certes, l’extrême différence, l’extrême exigence peuvent apparaître comme des troubles de la personnalité pour ceux qui visent la norme médiane, pour ne pas dire médiocre. Tár est peut-être simplement géniale. Elle fait penser à ces compositeurs dont la personnalité violente, emportée, intransigeante, extrême en faisait des hommes difficiles à supporter pour leur entourage, comme Beethoven ou même Malher dans ses rapports avec sa femme Alma. C’est d’ailleurs autour des répétitions de la 5 ème symphonie de Malher et son adagietto apaisé que tourne l’histoire du film. Même si on parle plus de musique – et très bien - qu’on en entend, C. Blanchett donne de superbes scènes où toute son énergie, toute sa maîtrise s’expriment. Une autre critique accuse C. Blanchett de faire la course aux récompenses; si le personnage n'était pas si juste, s'il n'était pas aussi rugueux, s'il n'était pas si peu séduisant, peut-être - et encore! Moi qui n'aime pas en temps habituel cette actrice, j'ai été stupéfaite par l'intensité de son jeu dans ce personnage difficile. En fait, beaucoup de critiques partent d'une mauvaise compréhension du film, son côté austère et son sujet peu compréhensible pour beaucoup de gens ayant peu de connaissances musicales explique peut-être cela...


Une scène semble avoir choqué bien que Whiplash nous ait habitués à plus de violence, c’est la scène savoureuse entre un jeune élève apprenti chef d’orchestre et Tár. Bien dans l’esprit woke de l’époque, ce jeune dont « l’âme a été formée par les réseaux sociaux » ose dire qu’il n’aime pas Bach car c’est un affreux cis genre qui faisait trop d’enfants à sa femme. Tár lui donne une leçon magnifique qui est peut-être le fond du film : on ne peut juger l’œuvre par l’homme, le génie prend peut-être des voies peu séduisantes mais doit être reconnu car il change l’humanité, l’améliore en quelque sorte, ne pas le reconnaître pour de mauvaises raisons est bête et même inacceptable de la part d’un musicien. Humilié par une telle leçon, le jeune traite Tár de « vache ».


En fait, tout l’entourage de Tár a à souffrir de la femme qu’elle est : sa fille, délaissée, sa compagne, trompée et qui lui reproche d’avoir profité de sa position de 1er violon pour intégrer l’orchestre de Berlin, ses admiratrices, qui se sentent traitées durement. Une ancienne amante qui se suicide, une autre, son adjointe, déçue de ne pas avoir été promue, et la vie de Tár se trouve sous les feux des médias. Lâchée par ses soutiens, ses troubles s’accentuent, elle peine à composer, son sommeil se trouble de cauchemars, ses tentatives de séductions se retournent contre elle. Le film est l’histoire d’une chute. Tár ira jusqu’à se réfugier chez son père où on comprend combien son parcours a dû être difficile. Dans sa chambre modeste habitée par la musique, elle pleurera en visionnant ses anciennes cassettes de chefs prestigieux. Seule la passion de la musique l’habite, elle lui a tout sacrifié, cela a un côté monstrueux.


Le plus beau du film se trouve à la fin car elle éclaire tout le personnage : on lui enlèvera peut-être sa position, mais Tár continuera à vivre sa passion, trop différente, seule, obligée à se produire devant un public clownesque de joueurs de jeux vidéo.

jaklin
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le 4 févr. 2023

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