Réduire un film à son actrice principale revient tout simplement à parler de Tàr. Un film qui porte le nom de son personnage principal, ne peut se résumer à une linéaire biographie descriptive retraçant la vie de cette cheffe d’orchestre, prodige, lesbienne, mariée à l’une de ses violonistes et mère d’une petite fille adoptée (ou conçue par FIV). Il s’agit plutôt d’une chute vertigineuse, annoncée mais difficilement imaginée, tant la réussite, la performance et la maniaquerie de Lydia Tàr sont scotchantes.Avez-vous déjà regardé un film qui commençait par le générique de fin ? Tàr impose aux spectateurs un lent, patiemment dosé et interminable listing des concepteurs du film…à croire que c’est délibéré histoire de rendre un hommage appuyé à toute l’équipe derrière cette oeuvre. Peut-être s’agit-il d’une analogie avec l’orchestre symphonique où tous les musiciens entrent un à un en scène, dans un mouvement lent et méthodique, couronné par l’entrée magistrale du chef d’orchestre, du maestro, du métronome. Le film ne commence donc qu’après avoir vu défiler tous les noms des moindres intervenants dans le film, jusqu’à plonger enfin dans l’univers (im)pitoyable de son actrice principale, son épicentre. Cate Blanchett. Un concentré de génies d’actrice. Une maîtrise parfaite de la gestuelle. Je vous rappelle qu’elle joue la brillante cheffe-d’orchestre qui arrive au sommet en régnant sur l’orchestre symphonique de Berlin. Le Graal. Mais qui est tourmentée, maniaque et émotionnellement fébrile. Comme si elle n’arrivait toujours pas à croire en sa flamboyante réussite. Elle. La femme. La féministe. La déviante des normes sociales. Dans un univers où l’homme est omnipotent, la hiérarchie intransigeante et la réputation pesante. La question du genre est omniprésente dans ce film. Il est évident que je ne le recommanderai pas aux masculinistes en vogue de nos jours. Ils y verront peut-être le reflet du miroir de la domination masculine - objet obsessionnel de leur nostalgie et de leur peur - mais dans sa version féminine. Le pouvoir. La séduction est question de pouvoir. La poursuite et le maintien de la réussite est question de pouvoir. La transgression des règles de la méritocratie est question de pouvoir. Le culte de la petite personnalité est question de pouvoir. Que l’on soit un homme ou une femme. C’est ce que j’ai déduit de ce film. Bien qu’omniprésent, le genre y est secondaire. Le pouvoir y est primaire. Jusqu’au jour où le château de cartes s’écroule. Plus de pouvoir. Plus de domination. Retour à la case départ. Et quel départ ! C’est là où j’ai beaucoup apprécié la fin. Redescendre sur terre. Reprendre tout depuis le début. Se faire petit. Humble. Raser les murs. Se retrousser les manches et…bosser de nouveau. Pour mériter sa place et pourquoi pas, remonter les marches du succès, autrement. Car le génie, en l’occurence musical, ne s’efface pas d’un revers de la main. Le génie musical est là, bien là. Et il le restera. En dépit des manies de Lydia, de son orientation sexuelle, de ses dérapages, de ses pertes de contrôles, de ses tremblements avant une performance. Baladés entre New York, Berlin et une capitale asiatique (que je n’ai pas su reconnaitre), les spectateurs voyagent géographiquement avec Tar mais surtout…doutent cognitive ment et émotionnellement avec Lydia. C’est un film où je n’ai à aucun moment décroché les yeux de l’écran. Non par magie des effets spéciaux. Mais tout simplement par un scénario subtilement brodé. Où chaque minute est précieuse. Où chaque plan a du sens. Un film qui parle à notre oreille avec des séquences symphoniques courtes certes mais en totale osmose avec l’évolution de l’intrigue et de l’état d’âme de son actrice principale. Les dialogues y sont succincts mais éloquents. C’est indiscutable, j’ai eu mon premier coup de coeur cinématographique de 2023.