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TÁR démarre par une heure didactique montrant le personnage éponyme, incarné à la perfection par Cate Blanchett, au sommet de sa gloire. Une heure de monologues et de master classes qui nous imprègne dans son univers et son génie, sans jamais nous le montrer en action. Mais c’est une heure où l’on voit en filigrane les fissures de ce personnage plus grand que nature, et ce dès cette introduction filmée sur téléphone où l’on lui vole sa posture pour la remettre au milieu de la plèbe. Car c’est ensuite la dégringolade d’une figure emblématique de l’univers dépeint, phagocytée par le pouvoir mis entre ses mains et les abus que cela suppose inévitablement.
Lydia Tár est avant tout le symbole d’une réussite basée sur le mérite et un travail acharné, que l’on viendra ensuite déconstruire par la porte de son humanité qui ouvre à toutes les dérives qu’une telle position d’hégémonie sur son monde peut apporter. Le film traite, entre autres, de la cancel culture qui sévit (à raison ou à tort selon les cas, mais là n’est pas le sujet et jamais Todd Field ne se place en juge). Il le fait par ce personnage en tant qu’humain et non comme individu genré. Car Lydia est une femme lesbienne puissante qui a usé de sa position pour jeter une emprise sur certaines de ses étudiantes, tout comme la palanquée d’hommes en postures similaires ont pu le faire. Ce choix ne manquera d’ailleurs pas de créer une polémique, les gens montant au créneau sans se poser la question de l’universalité qu’apporte le réalisateur au sujet. Il ne s’agit pas de dire que même les femmes peuvent être des bourreaux, mais plutôt de dire que l’Homme, de par sa nature même, sera toujours sujet à abuser de son pouvoir.
En témoigne d’ailleurs ce choix de tourner le récit comme un thriller, voire un film d’horreur, où Lydia est hantée la nuit par ses victimes (apparitions à peine perceptible d’une silhouette au second plan, bruits étrangers dans l’appartement…). Ses actes la travaille, ce qui empêche au spectateur qui condamne ses actions de la voir comme totalement antipathique, et malgré cela elle perpétue, maladivement, ses méfaits. Comme une démonstration de l’indissociabilité de l’exercice d’un pouvoir quelconque sur des subordonnés de tout débordement moral, une pulsion irrépressible que l’on ne nous demande pas d’excuser mais de comprendre.
En parallèle de cet odieux parcours, dont toutes les étapes sont parfaites dans la nuance de jeu de Blanchett, le cinéaste s’attaque également à la vindicte populaire qui est monnaie courante dans notre société en plein bouleversement #MeToo. Car si Tár est coupable, le spectateur le sait, rien ne le prouve aux yeux du public diégétique. Le brillant discours à l’université de la maestro sur la séparation de l’oeuvre et de l’artiste, de l’erreur qu’est de juger un individu d’une époque révolue à l’aune des standards sociétaux actuels, sans fondement autre qu’un à priori sur des faits qui ne peuvent être prouvés, fait mouche. Mais voilà, ce discours a été filmé, monté, et sert de petit bois au bûcher qui se prépare. Une pièce factice de désinformation qui vient appuyer une accusation basée sur des faits concrets, quitte à décrédibiliser l’argumentaire. Une dérive des masses qui vient contrecarrer les avancements sociaux par une politique de “culpabilité jusqu’à preuve du contraire” et d’une fin qui justifierait les moyens. Une autre forme de maladie, une fièvre contre-productive.
Sur le papier TÁR est une œuvre fascinante, à l’articulation du discours profondément bien menée, et à l’interprétation qui rappelle le talent sans conteste de l’actrice australienne. Malheureusement, alors que les films retraçant des vies sur près de trois heures suivent en général le schéma classique du “Rise and Fall” (Goodfellas, Scarface, Babylon…), TÁR démarre là où les autres ont déjà passé la ligne médiane, ne proposant que la chute. Pas une tare en soit. Mais sur une telle durée, il est inévitable que certaines longueurs viennent s’installer, de par la redondance des illustrations affichées. Rien d’extrêmement dommageable, mais suffisamment pour amoindrir l’appréciation globale d’un film autrement passionnant et maîtrisé.