Je me suis souvent demandé d'où me venait mon amour pour les créatures en tous genres, pour les univers fantaisistes, pour les forêts sombres et tortueuses, pour les rudes guerriers barbus et soupe-au-lait, pour les longues chevauchées au clair de lune, pour Conan, Darkness et autres Madmartigan. Et si la solution de cette énigme n'était pas à chercher simplement dans ma première expérience au cinéma ?
A l'âge canonique de quatre ans (une éternité pour un môme), j'assistai, tout innocent et le nez plein de morve, à ma première visite dans le sanctuaire cinématographique par le biais de The Black Cauldron, Taram et le chaudron magique dans la langue de Gilbert Montagné. Du film en lui-même, ma mémoire n'en avait conservé que le premier plan avant que je ne le revois plus tard en VHS. Etrangement, je me suis davantage souvenu de mes pleurs face à une projection qui ne semblait ne jamais vouloir débuter et d'un court-métrage mettant en vedette Donald Duck. Allez savoir pourquoi.
Produit à une époque extrêmement compliquée pour Disney, où le studio cherchait à se démarquer de son image un peu trop enfantine, The Black Cauldron est une adaptation extrêmement libre du cycle imaginé par Lloyd Alexander, The Chronicles of Prydain, et dont la mise en chantier date tout de même des années 70.
Budgétisé à 20 millions de dollars, le film, ambitieux sur plus d'un point (utilisation du format 2.20 et de l'outil informatique), subira une production houleuse, l'équipe peinant carrément à aller au bout d'un projet qui sera sacrifié par un Jeffrey Katzenberg tout juste nommé responsable du département animation afin de redresser la barre. Détesté par ce dernier qui triturera le montage et par un public scandalisé par la noirceur de l'ensemble, The Black Cauldron ne remportera que la moitié de sa mise de départ et sera longtemps ignoré de tous comme un vilain petit canard dont on aurai honte.
En revoyant le film aujourd'hui, on peut comprendre facilement ce qui choqua une audience habituée à une formule faite de chansons entraînantes et d'univers coloré. Dans la droite lignée du cinéma de Don Bluth période The Secret of Nimh, The Black Cauldron brille par son atmosphère pesante et désespérée, où la désolation et la mort ont pignon sur rue. Quelques tentatives d'humour ici et là tentent de noyer le poisson mais il faut se rendre à l'évidence, on est clairement plus proche ici de Tolkien que de Dumbo.
Pourtant, si le film supervisé par Ted Berman et Richard Rich souffre évidemment de son enfantement chaotique, ainsi que d'une intrigue peu renversante et d'un rythme casse-gueule, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas voir ses qualités et les quelques merveilles qu'il recèle en son sein. Dans son fond déjà, The Black Cauldron s'inscrit dans la grande tradition du cheminement héroïque comme l'a défini Joseph Campbell, faisant d'un simple gardien de cochon une figure héroïque et courageuse, tout en faisant preuve d'un certain progressisme, la frêle damoiselle en détresse prenant ici les choses bien en main et ne reculant jamais face au danger.
S'il emprunte énormément d'éléments aux classiques du genre (notamment au mythique Lord of the Rings), The Black Cauldron traite son sujet avec une véritable passion, esquissant dès les premières images une ambiance tout bonnement incroyable, tout à la fois mystérieuse, exaltante et furieusement anxiogène. Aucune niaiserie ici ou gag puéril, tout est à prendre au premier degré du début à la fin.
Bien qu'il n'atteigne jamais la fulgurance des plus belles réussites du studio, The Black Cauldron reste une vraie réussite d'un point de vue graphique, offrant une flopée d'images marquantes. Impossible de ne pas s'extasier devant les séquences mettant en scène un seigneur des ténèbres ô combien flippant, à la présence spectrale inoubliable et doublé avec une classe folle par John Hurt, ainsi que par son armée de cadavres ambulants.
Nourri d'une atmosphère macabre absolument délicieuse pour le grand malade que je suis, The Black Cauldron reste à mes yeux un grand film mutilé, pêchant inévitablement par un manque d'ampleur et d'émotion, mais se rattrapant largement sur une bonne poignée d'instants mémorables. Une anomalie bienvenue dans le monde de Disney, qui préfère malheureusement oublier une période de doutes qui aura pourtant donné naissance à des oeuvres fascinantes telles que ce Black Cauldron ou le superbe Dragonslayer.