Archétype du film maudit, Taram et le Chaudron Magique est le produit mal-formé de quatorze années de désaccords artistiques durant lesquelles d'incessants "passages de témoin" sont venus perturber l'avancement du projet. Si au départ, les vétérans de la section animation étaient motivés à l'idée de travailler sur une adaptation des Chroniques de Prydain, sentant qu'ils pourraient en extraire un nouveau Blanche-Neige, les continuels décalages et embrouilles créatives entraînent un remplacement des équipes prévues par de nouvelles recrues (où figurent Tim Burton, John Musker, Ron Clements) qui, elles aussi, abandonnent le navire en cours de route se considérant trop jeunes pour ces conneries.
Comme si les conflits entre animateurs et scénaristes ne suffisaient pas, Jeffrey Katzenberg, fraîchement nommé président du studio, vient mettre son grain de sel en ordonnant un remontage du film après qu'il ait assisté à des projections-test catastrophiques. Plus de 12 minutes seront coupées au total. Fait rare pour être noté, Taram et le Chaudron Magique est un des rares Classiques Disney à n'avoir pratiquement pas dévoilé un seul visuel de ses scènes non-retenues, la plupart d'entre elles contenant une violence crue (tranchage de cou, corps dissolu) et ayant choqué les jeunes enfants lors des séances privées.
Explosant son budget initial qui s'élève au final à 44 millions de $, soit le film d'animation le plus cher de l'époque, l'accueil est devinable, le long-métrage est boudé par le public, hué par la critique et renié par ses créateurs. Il ne convainc ni les fans de longue date de la compagnie ni ses détracteurs qui ne voient qu'une énième errance pour la boîte aux grandes oreilles, incapable d'assumer ses choix depuis la mort de son dirigeant.
Et il faut reconnaître que ces reproches sont justifiés. Si Taram et le Chaudron Magique n'est pas le navet décrié par certains à sa sortie, il est un film complètement déshumanisé qui n'a d'intérêt que ce qu'il aurait pu être et non ce qu'il est. Sa fabrication désordonnée a déteint sur quasiment tout ce qui le compose, à commencer par l'absence monstrueuse de clarification. Qu'est-ce que le Royaume de Prydain? Est-il gouverné? Quel rapport y a-t-il entre les humains et les créatures fantastiques? Pourquoi n'y a-t-il pas une seule âme qui vive dans les environs? Une foulée de questions qui ne crée pas d'ambiance ou de mystère, uniquement de la confusion dans un récit mort intérieurement.
Constamment sauvés par la chance et embarqués dans une aventure malgré eux, les protagonistes n'apprennent rien de leurs péripéties puisqu'ils n'ont ni but ni dilemme si ce n'est celui de battre les Forces du Mal avant le dernier acte. Un enjeu qui arrive beaucoup trop tard pour des héros vides de complicité et de matière, y compris en ce qui concerne le voyage initiatique puisque rien n'est utilisé quant à la personnalité de Taram, et surtout inutiles. Aucun n'évolue ou ne fait progresser le périple, le recours à des artefacts ou des interactions avec des personnages décoratifs étant nécessaire pour que notre groupe réussisse quelque chose. Meilleure preuve en est, l'épée qui agit à la place de son propriétaire, comme si les réalisateurs avouaient que le quatuor ne sert à rien.
Le méchant peut-il compenser ces faiblesses? En aucun cas. Le Seigneur des Ténèbres renfermait un potentiel fou pour devenir l'homologue masculin de Maléfique (rareté des apparitions, état passif, isolement dans une pièce de sa forteresse, magie noire réservée pour le grand final) mais le moment de gloire n'arrive jamais. Vaincu de la façon la plus ridicule qui soit, l'antagoniste squelettique échoue à nous faire frissonner malgré son excellent design. Il représente tout ce qui ne fonctionne pas dans le résultat final, une non-exploitation d'idées prometteuses sur le papier, soit par peur d'aller trop loin dans la noirceur soit par le cafouillage dont le film n'a pu se sortir.
L'atmosphère plus sombre se résume surtout dans des sursauts et des monstres montrant une ou deux fois leur sale face à la caméra. Les quelques autres tentatives ne marquent pas tant le scénario se suit avec une non-réactivité de la part du spectateur. Peu d'émotions nous sont transmises car rien dans cette quête ne mène à un objectif ou à un développement psychologique, personne n'a l'air de savoir ce qu'il est venu faire dans cette galère, sensation confirmée par un doublage sans vie où chaque comédien est en sous-jeu à l'exception de John Hurt.
Ne restent pour Taram et le Chaudron Magique que sa qualité visuelle indéniable et sa valeur d'analyse afin de comprendre jusqu'où une société peut se retrouver dans une impasse si elle est dépassée par le temps et son image.
Le désastre financier poussera Disney à enterrer cette humiliation jusqu'en 1998 où, lors de son édition video, le dessin animé commence lentement à trouver la grâce de plusieurs personnes et à obtenir un certain culte. Le film n'en reste pas moins mal structuré et une des pires productions animées de son studio. Dans le même genre, on lui préférera Le Dragon du Lac de Feu, sorti 4 ans plus tôt sous le même label.