Tatami
7.4
Tatami

Film de Zar Amir Ebrahimi et Guy Nattiv (2023)

Quoi de mieux que d’aller voir le film Tatami, lauréat du Brian Award à la dernière Mostra de Venise, en cette pleine période olympique ? Comme son nom l’indique, Tatami se déroule dans l’univers du sport, en l’occurence lors des championnats du monde de judo à Tbilissi, en Géorgie, en 2019. Leila, une judoka iranienne qui domine tous ses adversaires depuis le début de la compétition, est contrainte par les autorités de son pays à abandonner en déclarant forfait, pour ne pas avoir à affronter (potentiellement) Shani Lavi, une certaine judoka pas mal positionnée elle non plus, qui est de nationalité israélienne. Et comme on peut s’y attendre de la part du régime des mollahs, très rapidement, la pression finit par s’exercer aussi sur la famille et les proches.

On ne le répètera sans doute jamais assez, oui, le sport, malgré tout ce que l’on entend, c’est politique. Gagner une médaille, c’est une preuve de supériorité, de puissance, de réussite pour un pays. S’incliner, encore plus lorsqu’il s’agit de s’incliner face à son adversaire de toujours, est souvent inconcevable. C’est ce qu’il se passe dans Tatami, où les iraniens ne peuvent même pas imaginer la défaite face à l’adversaire israélien, et préfèrent donc éviter l’affrontement plutôt que perdre la face. Au détriment des sportifs (et du règlement international), certes.

On ne le répètera sans doute jamais assez non plus, oui, le cinéma, c’est AUSSI politique. C’est un vecteur de messages, de réflexion, de partage, de critiques parfois, qui sont souvent très peu appréciées. C’est pourquoi il a aussi souvent été censuré. Tatami en est un exemple frappant, puisqu’il a été réalisé par la comédienne iranienne Zar Amir Ebrahimi, que l’on a pu voir dans Les nuits de Mashhad d’Ali Abbasi en 2022, qui a dû fuir son pays pour la France après une polémique visant aux bonnes moeurs en vigueur dans la république islamique, et qui joue également le rôle de la coach de Leila, Maryam Ghanbari, avec un réalisateur et scénariste israélien, Guy Nattiv. À quatre mains, les deux réalisateurs s’attaquent au problème profond de la rivalité entre Iran et Israël, on ne peut plus d’actualité. C’est triste de voir des réalisateurs condamnés à fuir leur pays pour continuer à travailler dans des conditions « normales ». D’autres préfèrent arrêter, voire ne pas du tout commencer. Il y a sans doute toute une part du cinéma iranien que l’on ne verra jamais. 

Et c’est dommage lorsque l’on voit que cela peut donner des films comme Tatami. Dans un noir et blanc profond, presque au style argentique, au format carré, on voit évoluer ces deux personnages, Leila et Maryam, dans un environnement fait lui aussi de lumière et d’ombres : la lumière sur les tatamis, pendant la compétition ; l’ombre sur les coulisses et sur ce qu’il s’y passe de pas très net. Le cadrage est très serré, il suit les personnages de près, la caméra se déplace beaucoup et est très dynamique. Quelques plans larges (traversée de la frontière, vue du tatami du dessus, vue du plafond de l’édifice sportif…) font vraiment du bien dans toute cette oppression visuelle et mentale et révèlent un sens aigu de la composition. 

Tatami peut en fait être assimilé à un huis clos. Leila est dans l’enceinte sportive, en Géorgie, avec sa coach. Leurs familles respectives sont en Iran. Et le régime iranien aussi est en Géorgie, dans le complexe sportif, prêt à tout. On ne sait pas qui est qui. Soit Leila continue, soit elle abandonne. Mais toute cette histoire se passe dans un laps de temps très court, si bien que le complexe sportif sera le cadre de toute cette histoire.

La musique de la russe Dascha Dauenhauer à base de tambours contribue aussi à ce stress permanent, cette angoisse, cette tension. Puisque oui, devant Tatami, on est littéralement en apnée, surtout vers la fin du film. Les deux actrices principales (Zar Amir Ebrahimi, donc, ainsi qu’Arienne Mandi) y excellent.

Au-delà de la question des relations politiques, ce film se demande jusqu’où on est prêt à aller. Jusqu’où on est prêt à aller pour réaliser son rêve. Jusqu’où on est prêt à aller pour empêcher le combat Iran-Israël. Jusqu’où on est prêt à aller pour quand même se protéger, protéger ses proches. Et si tout cela, au final, est bien utile.

Sa réalisatrice iranienne a très bien résumé la situation en ces mots :

L'histoire que nous racontons dans ce film est celle de trop nombreux athlètes iraniens qui ont perdu l'opportunité de leur vie, parfois contraints de quitter leur pays et leurs proches à cause du conflit entre les systèmes et les gouvernements. Puisse cette collaboration artistique et cinématographique avec Guy leur rendre hommage, au-delà des frénésies de haine aveugle et de destruction mutuelle.

On ne s’ennuie donc pas devant Tatami. Réjouissons-nous de pouvoir aller voir du cinéma irano-israélien en salles. 

Dans Tatami, la devise des judokas « Jita Yūwa Kyōei », la prospérité mutuelle par l’entraide, semble malheureusement bien lointaine. 

PS : Si ce sujet vous intéresse, je ne peux que vous conseiller d'aller écouter l'excellente émission de Victor Bonnefoy, "Le pire podcast cinéma", qui a consacré un épisode cet été au sujet du cinéma iranien en danger. Il y parle justement de ce film.

https://open.spotify.com/episode/5TEGUBE2J6TYkT1wTQ1Xvt?si=4a097d69d23f46c4

HugoKerscot
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le 6 sept. 2024

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