Première image, première fulgurance : une femme entravée, tel un animal pris au piège, rampe et se débat dans la pièce nue et sombre qui lui sert de prison.
Dans ce clair obscur la caméra révèle peu à peu le jais d'une chevelure, la blancheur d'une peau : visage de porcelaine qu'illuminent deux grands yeux noirs apeurés et une bouche cerise qui s'entrouvre pour laisser passer quelques gémissements de douleur.


Un homme armé d'aiguilles, penché sur elle, fasciné par cette chair laiteuse qu'il a dénudée, trace avec ferveur, sur cette toile au grain parfait, l'oeuvre de sa vie : une araignée gigantesque qui l'enserre, lui dévorant toute la surface du dos, rendue vivante, ô combien, par les soubresauts douloureux et sensuels que la jeune femme imprime à tout son corps.


Mais qui est-elle cette belle rebelle ?
Histoire banale d'une jeune fille de la bourgeoisie marchande japonaise, qui jetant son dévolu sur le commis de son père, n'a eu de cesse de s'enfuir avec lui pour vivre sa passion.
Otsuya, sensuelle et violente ne trouve aucune résistance chez Shinsuke, ce jeune amant un peu pleutre, subjugué par la jeune femme qui mène la danse, trouvant refuge chez un ami de son père.
Victime de sa beauté elle est finalement vendue au patron d'une maison de geishas tandis que son amant tombe dans un piège destiné à le supprimer.


Devenue une courtisane recherchée pour sa "peau de brocart", son caractère et son charme vénéneux, Otsuya envoûte les hommes, parfaitement consciente de ses attraits, sorte de furie vengeresse qui prend sa revanche de femme exploitée et exclue.


Des images d'une beauté fascinante, jouant des contrastes de couleurs dans des scènes qui ont un superbe pouvoir d'évocation : le rouge des étoffes ou l'incarnat du sang et toujours cette peau blanche à la texture si fine qu'elle appelle la caresse, tandis que, tapi dans son dos l'infâme prédateur aux longues pattes et au sourire carnassier, accomplit son oeuvre de mort.


Une histoire de vengeance, certes, mais aussi un récit de pouvoir et de possession où le corps est omniprésent, où l'on se frappe, se blesse ou se trucide dans une chorégraphie sensuelle et précise: viol, amour violent, combats au couteau au sabre ou au bâton, corps à corps sanglants et étreintes passionnées, un film illuminé par la beauté de Ayako Wakao et son érotisme mortel.

Créée

le 2 déc. 2012

Critique lue 1.9K fois

72 j'aime

48 commentaires

Aurea

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

72
48

D'autres avis sur Tatouage

Tatouage
Homdepaille
10

Utamaro à tout âge

Tout en adaptant scrupuleusement (sauf la fin) l'intrigue de deux récits contre-initiatiques de Tanizaki (Le Tatouage et Le Meurtre d'Otsuya) de "femme-enfant" "avilie", les trois fréquents...

le 16 mai 2020

13 j'aime

4

Tatouage
IllitchD
7

Critique de Tatouage par IllitchD

Yasuzo Masumura réalise avec Tatouage un film magnifique sur une femme voulant prendre son destin en main, campée par l’actrice Ayako Wakao, d’une beauté empreint d’un érotisme froid et fascinant. Il...

le 18 oct. 2012

11 j'aime

5

Tatouage
Plume231
7

Avoir une araignée sur le dos est plus dangereux qu'en avoir une au plafond !!!

A l'origine Tatouage est une nouvelle du grand écrivain japonais Jun'ichirō Tanizaki que le réalisateur Yasuzō Masumura a visiblement plus utilisé comme idée de départ qu'autre chose puisqu'il a...

le 7 janv. 2016

8 j'aime

3

Du même critique

Rashōmon
Aurea
8

Qu'est-ce que la vérité ?

L’Homme est incapable d’être honnête avec lui-même. Il est incapable de parler honnêtement de lui-même sans embellir le tableau." Vérité et réalité s'affrontent dans une oeuvre tout en clair...

le 30 oct. 2012

424 j'aime

145

Call Me by Your Name
Aurea
10

Parce que c'était lui...

Dans l'éclat de l'aurore lisse, De quels feux tu m'as enflammé, O mon printemps, mon bien-aimé, Avec mille et mille délices! Je sens affluer à mon cœur Cette sensation suprême de ton éternelle...

le 23 févr. 2018

372 j'aime

278

Virgin Suicides
Aurea
9

Le grand mal-être

J'avais beaucoup aimé Marie-Antoinette de Sofia Coppola, j'ai regardé sur Arte, Virgin Suicides, son premier film qui date de 1999, véritable réussite s'il en est. De superbes images pour illustrer...

le 30 sept. 2011

362 j'aime

114