Palme d’Or 1976, Taxi Driver de Martin Scorsese est un film qui en cache un autre. Une chute dans la folie se camoufle derrière le quotidien d’un chauffeur de taxi new-yorkais. Ce film à la première personne, nous emprisonne visuellement dans le point de vue de Travis alors que l’univers sonore le contredit. L’introduction de Taxi Driver enchaîne des images et des sons mystérieux ayant pour seule logique de refléter le trouble du narrateur...

La nuit un taxi jaillit, au ralenti, d’un mur de fumée alors que résonne un morceau de musique dramatique se qui développe à l’envers. Le film se présente visuellement et auditivement comme un rêve. Derrière le pare-brise de son taxi (l’écran de cinéma…) le regard hagard en gros plan de Travis reflète les lumières de la nuit et passe par toutes les couleurs, toutes les émotions. De même, la musique passe d’un air funèbre à un jazz léger. Les dernières notes gaies tendent à s’espacer comme pour signifier une mort à venir.

Un troisième thème musical accompagne l’entrée de Travis dans un bureau. Les notes accélèrent alors que l’image ralentit. Elles se transforment en une sonnerie de téléphone stridente qui nous ramène à la réalité. Le cadrage de la séquence ne respecte pas les règles. Un homme sur son siège écoute Travis, débout, dont on voit le dos mais pas la tête. Ce plan est entrecoupé de gros plans de son visage. Le héros n’est jamais montré intégralement : on pressent un malaise… Le corps et l’esprit sont brutalement dissociés. Les plans où Travis est décapité, Scorsese greffe au tronc une tête-double : une fenêtre derrière laquelle deux hommes s’engueulent. Il y a en Travis une dualité, un combat intérieur alors qu’il affirme avoir « une conscience propre ». En fond sonore, une voix donne des indications sur le trafic routier commentant le réel état d’esprit de Travis : il est perdu !

En sortant, la caméra suit le Travis de droite-gauche, il esquive la caméra en passant derrière elle… Après un mouvement de 180° la caméra retrouve Travis. Scorsese bouscule les habitudes pour insinuer que Travis tente d’échapper à sa condition d’acteur. Passer derrière la caméra signifie-t-il qu’il désire devenir réalisateur du film (prendre les évènements en main) ? Le silence de la scène indique que nous avons passé un cap. Ce plan indique la confusion temporelle du héros. Cette ellipse peut avoir duré 15 secondes comme 6 mois. Le plan suivant lui fait écho : Travis marche vers la caméra et dans un fondu enchaîné il est propulsé vers la caméra. Cette disparition fantomatique correspond à la réapparition de la musique : sa voix intérieure, la musique, dirige ses actes.
Ciné-machine…

La musique s’est transformé en voix-off lancinante. De nuit, le taxi de Travis longe des rues populeuses. Jamais on ne voit la voiture dans son intégralité : une aile, un rétroviseur… Travis ou son taxi (le titre les associe…) tombe en pièces. Dans le même ordre d’idée, Travis se fond dans les décors et seul son visage ressort : il est son taxi et donc une machine. Sa disparition déclenche la réapparition de la musique. Son esprit sera toujours là.
La caméra s’arrête sur des néons distinctement lisibles : un titre de film (Massacre à la tronçonneuse) et le nom d’un sex-shop (Fascination). Voilà donc les deux émotions que le film nous propose de mêler. Taxi Driver est-il un film sur la fascination de l’horreur ? La musique délicate rend l’affirmation plus acceptable.

Les jours se suivent, à l’image d’un rêve, on ne sait plus quand nous sommes. Travis sort du travail et pénètre dans un cinéma X. La musique est métamorphosée : se sont des cris et des gémissements qui composent une étrange symphonie. Douleur et plaisir mêlés. La musique exprime clairement le désarroi de Travis qui vient chercher l’amour dans le lieu du désamour. Dans le hall du cinéma, il se pose derrière un projecteur bruyant dont le ronron mécanique envahit ses pensées (et ses cris) intérieurs. S’extrait-il encore de sa condition d’acteur pour être réalisateur ? Dans la salle de cinéma, le film est audible, mais pas visible. Travis est un spectateur frustré ! Se reflètent sur son visage, comme au début du film, des lumières multicolores. Malgré ses efforts il n’évolue pas.

Malgré ses tentatives de passer derrière la caméra ou de reconstruire le monde par le son, Travis est piégé dans sa condition de spectateur qui subit les évènements. Le final apocalyptique du film ne le démentira pas.
asano
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le 22 oct. 2012

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