Taxi Driver, ce sont les tripes de New York, le New York vécu par Scorsese, une ville puante et sale, « full of junkies » et que Travis Bickle compte assainir. Sauf que rien n’est sain, pas même l’ambition ou les motivations de Travis. Il tombe et s’enfonce dans la violence, comme il s’aventure dans les quartiers malfamés ou les salles pornos. Et pourtant, la pluie tombe sur New York, et si elle ne nettoie pas la Big Apple comme Travis le souhaiterait, elle la sublime par les reflets sur la chaussée des cent mille néons de cette jungle moderne. Les animaux de cette jungle sont étranges, violents mais aussi touchants comme les travestis noirs, sirènes sensuelles et nocturnes des trottoirs new-yorkais. La photographie de Michael Chapman transcende le protagoniste qu’est cette ville peuplée et obscure. Elle subjugue autant que la musique de Bernard Herrmann, ce jazz très cuivré, fabuleusement sensuel et ponctué par d’inquiétantes envolées qui rappellent ces compositions hitchcockienne. Impression non-négligeable quand on connait la passion du petit réalisateur italo-américain pour le gros maître anglais du suspens.
Taxi Driver est l’un des films les plus sensuels que je connaisse. Peu de films m’ont autant troublée. C’est un film au malaise profond, à la fois personnel et national, un film à propos d’un fou qu’on acclame comme un héros. Et pourtant, comme dans chacun de ses films, Scorsese ne juge pas ses personnages : ni les « junkies » de New York, ni la jeune prostituée interprétée par Jodie Foster, ni l’hautaine Cybill Shepherd, et surtout pas Travis, hanté par la violence de cette Amérique, de New York et du Vietnam. Cette Amérique est fascinante et troublante, elle se veut exemplaire et démocratique mais diffuse des images violentes de son actualité. Depuis l’assassinat de Kennedy, et la guerre du Vietnam, cette violence est permanente sur les chaînes de télévisions et les écrans de cinéma. Taxi Driver en est la preuve, Travis Bickle le produit.
La violence était revivifiée et vous vous sentiez honteux de cette
impression, principalement parce qu’elle reflétait [La Horde Sauvage]
tout ce que nous faisions en réalité au Vietnam, et que nous voyions
tous les soirs aux nouvelles de six heures.
Martin Scorsese en 1969 in « Sam Peckinpah, la violence du Crépuscule », par François Causse aux éditions Dreamland, Paris, 2001.
Critique entière sur mon blog, L'ARTillerie