Il est intéressant de revoir Taxi Driver après avoir vu Joker de Todd Phillips. Surtout quand on a aimé ce dernier. Car le film de Scorsese décrit probablement la même chose, mais d'une manière beaucoup plus pertinente.
Taxi Driver raconte le quotidien d'un chauffeur de taxi newyorkais suite à son retour du Vietnam. Porté par un jeune Robert De Niro qui commençait son extraordinaire carrière, il n'a rien perdu de sa lucidité sur la société moderne et sur le destin de millions de jeunes perdus dans la foule.
Car chacun pourra se reconnaître dans le personnage de Travis. Bien qu'il ne subisse à aucun moment d'agression de la part d'autres individus, on ressent profondément sa frustration et son désespoir. Pas la peine de le montrer se faire tabasser gratuitement, comme dans Joker, pour aiguiser la pitié du spectateur. Au contraire, la plupart des gens autour de lui ne sont pas hostiles, essaient même de l'aider par moment, l'écoutent ou lui donnent des conseils. Mais la véritable violence de cette société moderne, et Scorsese l'a très bien compris, c'est la solitude, l'ennui, la sensation d'abandon. Enfermé dans son taxi, Travis voit des milliers de personnes chaque jour et pourtant il est terriblement seul et ne trouve rien à faire qui puisse le stimuler, lui donner envie d'avancer. Chaque jour est le même que le précédent, et chaque rencontre se termine irrémédiablement en queue de poisson, dans le rejet courtois ou l'indifférence. Le traumatisme de la guerre est sans doute à l'origine de cette dépression chronique chez Travis, mais à travers cette dénonciation de la guerre et de ses ravages, c'est la société moderne elle-même que Scorsese dénonce. Car celle-ci est incapable d'offrir des réponses, un accompagnement, un soutien moral, à tous ces gens traumatisés, et les enferme dans une solitude destructrice.
L'une des meilleures scènes, selon moi, est celle avec le candidat à la mairie de New York que Travis prend dans son taxi. Plutôt que de montrer grossièrement un homme politique méchant et mal intentionné, Scorsese préfère la subtilité et filme une scène que nous pouvons tous imaginer dans la vraie vie : le politicien fait l'effort de s'intéresser à Travis, lui demande son avis, l'appelle par son prénom, jusqu'à ce que la différence de vue entre les deux hommes deviennent si évidente et si grotesque que la discussion se termine brutalement et tombe à l'eau. Encore une fois, Travis est l'incompris, celui qu'on écoute par pitié et de qui l'on s'éloigne à la première occasion.
Taxi Driver réalise ainsi cet exploit de mettre en scène avec justesse le sentiment de vide et d'absence. L'absence de but, d'amour, de fraternité, de confiance, de morale… A rebours d'un système médiatique ou politique qui se consacre uniquement aux faits divers et tente de faire passer des événements extraordinaires pour des choses ordinaires, il met en scène la réelle souffrance invisible telle que vécue au quotidien par les désœuvrés.
Le film n'a rien perdu de sa pertinence aujourd'hui et se regarde avec une émotion sincère. Il peut donner lieu à de nombreuses interprétations, notamment sa fin, difficile à saisir. C'est sans doute le propre des grands films, de laisser à chacun la liberté de voir et comprendre ce qu'il souhaite. Et Taxi Driver le fait très bien.