Teddy se caractérise par le territoire dans lequel il s’inscrit sauvagement. Le cinéma de Ludovic et Zoran Boukherma s’implante dans les terres catalanes, aux pieds des majestueux Pyrénées. Ce paysage vallonné et sylvestre devient le terrain propice à une chasse au loup(-garou). À la manière dont Bruno Dumont s’était approprié le Nord pour forger l’univers de CoinCoin et les Z’inhumains (2018), les deux frères se servent du territoire, comme espace de croyances et d’aménagement social, pour libérer leur fantastique fantaisie. Dans ce maillage profondément rural, l’autre naît de la peur collective du loup, prédateur isolé qui dévore l’harmonie pastorale. La déviation par le cinéma de genre se mue en un moyen de réinventer le territoire par le biais de son propre folklore, de le rendre perméable et de le faire exister au sein du paysage cinématographique français. Après une séquence d’ouverture typique riche en hémoglobine, Teddy se révèle être une œuvre reposant sur l’irrévérence – notamment envers ce cinéma français qu’il dynamite au sein d’un renouveau du cinéma de genre tricolore impulsé par le succès de Grave (2016) de Julia Ducournau.


Dans la modeste cérémonie de commémoration des morts pour la France durant la Seconde Guerre mondiale qui suit, Teddy (Anthony Bajon) s’insurge face à un cérémoniel de pacotille. Troublant l’ordre public, il regorge d’une vitalité qui insuffle un mouvement et un dynamisme dans ce village apathique encadré par des policiers surannés plus occupés à prévoir leur repas qu’à enquêter sur le loup qui sévit dans les troupeaux environnants. À la fois loup-garou sanguinaire et brebis galeuse exclue, l’écriture du personnage de Teddy est ambivalente. S’il bouscule les fondements sociétaux (travail, famille, ordre), il est également le dernier rempart contre l’exode rural d’une jeunesse qui ne peut envisager l’avenir qu’en-dehors de l’enceinte du village. Rêvant d’une pergola donnant sur la vallée, Teddy occupe le territoire catalan, le réclame et le parcourt tel un loup. Lors de la séquence où il se fait mordre par la créature, l’attaque se joue d’ailleurs hors-champ. S’il devient monstre, c’est en disparaissant dans l’épaisse végétation, en faisant corps avec sa région.


Dans Teddy, les frères Boukherma construisent également un parallèle entre les mutations du corps de Teddy générées par la mystérieuse morsure et celles dues à l’adolescence. Ironiquement, la pilosité exacerbée allant du globe oculaire à la langue se rattache à cette virilité pilaire caractéristique de l’homme. Les premières craintes de l’entourage du jeune loup-garou en devenir résident justement dans les marqueurs d’une sortie de l’enfance. Pour Pépin Lebref (Ludovic Torrent), le soupçon naît suite au remplacement au petit-déjeuner des traditionnels Chocapic par du fromage de tête. L’art du décalage, exacerbé par les possibilités inouïes du fantastique, donne à Teddy sa saveur si singulière. Dans ce coming-of-age déluré, l’humour sert à déconstruire l’horreur, à coup de sarcasme et d’ironie, qu’elle soit issue du monstre ou de la société – à l’instar de la patronne prédatrice du salon de massage jouée par Noémie Lvovsky. Grâce à un scénario où le mot triomphe, les cinéastes poussent à son paroxysme une certaine banalité du langage qui engendre alors sa propre absurdité, sa propre altérité. Une dimension comique mordante dont la flamboyance compense une mécanique dramatique plus conventionnelle.

Créée

le 30 juin 2021

Critique lue 272 fois

3 j'aime

Contrechamp

Écrit par

Critique lue 272 fois

3

D'autres avis sur Teddy

Teddy
mymp
4

La lycanthropie pour les nuls

Teddy il est marrant, il a une tête marrante. Teddy il vit au jour le jour mais avec en tête, qu’il a marrante donc, de s’installer et de fonder une famille avec Rebecca, sa petite amie, là-bas dans...

Par

le 30 juin 2021

28 j'aime

Teddy
Rom123
8

Willy 2e

Le film présente, comme les frères Boukherma l'avaient déjà fait avec Willy 1er, un inadapté à la société qui essaye de s'y intégrer, car il n'a pas le choix. Ici on a donc Teddy, un adolescent...

le 27 janv. 2021

18 j'aime

2

Teddy
Gruik
7

Hurlemeng (sans spoil)

Très bonne surprise. Film lancé avec un enthousiasme modéré, du fait de bons retours, mais avec la peur de tomber sur un film moyen, reçu de manière excessive sous prétexte d'un cinéma de genre...

le 3 juin 2022

16 j'aime

2

Du même critique

Silence
Contrechamp
4

Apocalypse Past

Avec Silence, Martin Scorsese laisse derrière lui l’ère DiCaprio chargée de fureur, sombre (Shutter Island, 2010) ou baroque (Le Loup de Wall-Street, 2013). Il marque une rupture nette avec ce...

le 7 févr. 2017

43 j'aime

10

Mademoiselle
Contrechamp
5

Cinquante nuances de Park Chan-Wook

En transposant le roman Du bout des doigts de Sarah Waters dans la Corée colonisée des années 1930, Park Chan-Wook se hasarde pour la première fois dans le genre du film d’époque. Une incursion qui...

le 18 oct. 2016

39 j'aime

8

Mon roi
Contrechamp
3

L’Amour est mort, vive l’Humiliation !

Le Cinéma français tue l’Amour ! Après en avoir fait un art – des obsessions rohmériennes aux mélodies d’Honoré –, il le dépèce sans vergogne de sa dramaturgie et de sa naïveté poétique pour n’en...

le 18 oct. 2015

33 j'aime

6