Être une épouse, être une jeune femme qui va se marier et doit redevenir vierge, être une femme avec un enfant qui se prostitue pour survivre, être un artiste qu’on empêche, être un mollah, être un homme… Ici, là, ailleurs, mais surtout en Iran. L’ancienne Perse aux mille splendeurs, le pays des ayatollahs, le pays où l’on pend pour adultère ou parce qu’on est gay… Ali Soozandeh parle de son pays qu’il a fui il y a des années et qu’il regarde droit dans les yeux, sans faillir. Il parle surtout de ces gens asservis, moralement et physiquement, par un régime religieux aux règles qui ne sont là que pour réprimer, proscrire, inhiber, et qui, parfois, flirtent même avec l’absurde (interdiction du jeu Pokémon Go, interdiction d’avoir un chien…).
Il évoque aussi cette hypocrisie, presque cette schizophrénie (le père qui regarde en cachette des clips avec des femmes qui se trémoussent, le chauffeur de taxi offensé parce que sa fille se promène avec un homme dans la rue alors qu’une prostituée s’occupe gentiment de lui…), que la société iranienne charrie malgré elle au quotidien face aux tabous qu’elle contourne et qu’elle brise (boire de l’alcool, utiliser Facebook, embrasser qui on veut, se tenir par la main…). Une société tout en contradictions dont les Iraniens s’arrange parce que c'est comme ça, parce qu’il n’y a pas le choix, pas de latitudes, sinon celle de rêver, rêver de liberté, à d’autres pays ou d’une vie plus facile, comme si la seule chose que le régime tolérait, c’était ça : rêver, simplement.
Téhéran tabou est comme un écho au roman Les putes voilées n’iront jamais au paradis de Chahdortt Djavann publié en 2016 et qui décrivait, de manière très crue et par le biais de témoignages de prostituées, les dérives d’une République islamique obnubilée par l’ostracisation du sexe et cette détestation de l’intimité. Téhéran tabou fait également œuvre de pamphlet en cherchant à tout dire et à tout montrer (pauvreté, drogue, prostitution, corruption…), mais sa charge en devient vite poussive, d’où ce sentiment d’une lourde démonstration (à l’image d’un final appuyé) plutôt qu’une évocation subtile des censures et frustrations pesant sur tout un peuple (et surtout sur les femmes). L’ambition est là (en plus d’une animation en rotoscopie très réussie), et la volonté aussi de décrire la réalité brute de l’Iran d'aujourd’hui, mais Soozandeh cherche à tellement bien faire et dénoncer (et même choquer) qu’il finit par ne plus convaincre.
Article sur SEUIL CRITIQUE(S)