Quel pays au monde pourrait avoir un destin plus absurde que l’Etat d’Israël ? Un long conflit tellement complexe que même un semestre de cours sur le sujet en licence d’histoire ne suffirait pas à saisir le schmilblick, dans lequel même les plus éminents spécialistes pourraient se perdre. Israël, c’est un territoire traversé par un mur, celui qui sépare deux parties qui se croisent (et encore) et ne se côtoient guère, deux communautés à ce jour irréconciliables dont les tensions sont savamment entretenues par leurs dirigeants. Tout le long du mur, des check-points. Vous savez, ces espèces de postes de frontière militaires pas anxiogènes pour un sou au niveau desquels vous pouvez stationner de longues heures durant quand il y a soit de la circulation, soit du zèle de la part des soldats israéliens. Si vous êtes palestinien, attention à être bien obéissant et à ne pas faire de vagues, car aux yeux de l’armée israélienne, vous êtes tous des dangers potentiels. Si vous faites ne serait-ce qu’une erreur, une bonne fouille au corps et un petit interrogatoire vous feront le plus grand bien, et surtout perdre encore plus de temps que le retard que vous avez déjà accumulé. Et dans cette affaire, on se doute très vite qu’il y en a un qui va prendre bien cher : c’est Salam.


Salam, c’est l’anti-héros sympathique, le raté de service que l’on a envie de bien avant de le prendre en affection. Autant dire qu’il cumule. Palestinien, 30 ans, Tanguy vivant encore chez sa mère, célibataire éconduit par son ex, incapable de garder un boulot et obligé de se faire embaucher par tonton Tout-Puissant sur LA série du moment qui fait vibrer les cœurs de centaines de milliers d’israélien.ne.s et de palestinien.ne.s : Tel-Aviv On Fire. Tel-Aviv en feu pour les intimes. Le lieu parfaitement adéquat. De son nom complet Tel-Aviv Jaffa, située sur les rives de la Méditerranée, elle est surnommée « la ville sans interruption ». Un véritable havre de paix dans un pays en guerre permanente. Jeune, dynamique, hype, tolérante, LGBT-friendly : Tel-Aviv a tout pour elle. N’est-ce d’ailleurs pas au nom de ces principes qu’elle a décroché l’organisation du prochain concours de l’Eurovision au nez et à la barbe de la clivante Jérusalem, pourtant défendue bec et ongles par le gouvernement et sa ministre de la culture ? D’autant que Tel-Aviv n’est ni plus ni moins que le centre financier et économique du pays, un carrefour touristique et commercial, ainsi qu’un centre culturel reconnu à l’international. Et elle au bord de la mer. Sea, Sex and Sun. À vivre une histoire d’amour romanesque dans une télénovela israélienne évoluant au gré de l’année 1967 et de la Guerre des Six-Jours, il n’y avait décidément qu’une seule possibilité : Tel-Aviv, or Nothing Else.



I’m not your bomb



(référence à la chanson Toy de Netta Barzilai, vainqueure du concours de l’Eurovision 2018 pour Israël)


Salam, donc. Un raté. Qui se fait embaucher comme assistant sur le tournage d’une série tournée par des palestiniens en Palestine. Elle met en scène une espionne palestinienne amoureuse d’un autre espion devant séduire un général israélien pour lui soutirer des informations. Problème n°1 : elle va en tomber amoureuse. Problème n°2: l’équipe ne maîtrise pas très bien l’hébreu, ce qui est un peu embêtant pour les dialogues écrits dans cette langue, et de surcroît l’actrice principale est française (excellente Lubna Azabal). L’hébreu, Salam il connaît et il est là pile pour veiller au bon usage des mots et des tournures. Un jour, le mot « bombe » (dont le général gratifie l’espionne en guise de compliment…) le fait douter. Les yeux tournés vers le réalisateur et sans se mouiller, l’équipe débat. N’est-ce pas grossier ? Et puis, faire un jeu de mots sur un tel terme, n’est-ce pas trop clivant pour les israéliens ? Sur une illumination, Salam décidera d’aller vérifier lui-même sur le terrain… en posant directement la question à une soldate israélienne au check-point de retour. L’idée du siècle. Ni une ni deux, et le voilà dans le bureau du chef, Assi de son prénom, anti-palestinien primaire, décidé à faire passer un sale quart d’heure au jeune maladroit, jusqu’à ce que l’un de ses soldats trouve ce qui ressemble à un scénario de Tel-Aviv on Fire, dont son épouse est une incorrigible fidèle. Deuxième idée lumineuse : Salam avoue à tort être le scénariste du carton du moment. Sautant sur l’occasion, Assi lui exigera la suite des évènements pour le lendemain et pour les jours suivants (et aussi un bon stock de houmous). Problème n°3 – et non des moindres : Salam n’a jamais écrit une seule ligne de sa vie, si ce n’est celles de son maigre CV et encore. C’est alors le début d’une aventure rocambolesque qui se transformera en séances d’écritures inspirées par le soldat israélien et où le – désormais – scénariste palestinien puise dans cette ressource pour s’assurer les faveurs du premier en faisant évoluer la série et prendre malgré lui des galons sur le tournage.


À un court moment donné, au bout de quelques scènes de check-point, j’ai craint de tourner en rond. Grave erreur. Dès le début, TLV On Fire le film nous plonge dans le kitsch de TLV On Fire la série télévisée bien respectueuse des codes du genre : musique emphatique, décor rococo, roses rouges, dilemmes et trahisons, cœurs brisés… Bienvenue dans les Feux de l’amour façon guerre, espionnage et complot en Israël. Un film et une série pour deux histoires en une, celle de TLV on Fire le film, deux scénarios qui se rejoignent pour n’en former plus qu’un et, ce, en parfaite symbiose. Le danger aurait pu être de réunir en un même long-métrage deux films différents côte-à-côte sans leur donner du liant : cet écueil a été ici évité avec brio. À aucun moment le scénario de la série ne relègue au second plan le récit principal, lui insufflant même un surplus de dynamique, et en constitue un parfait contre-point. A travers une succession d’évènements fantastique, TLV On Fire le film monte crescendo et se révèle extraordinairement jubilatoire. Plus qu’une sympathique comédie, c’est un film absurde et cocasse qui se joue devant nos yeux, tel un exact symétrique de son pays.



L’histoire pour les nuls



(Un (très) rapide retour historique s’impose. Si vous voulez zapper, passez au paragraphe suivant)


Car le conflit entre israéliens et palestiniens trouve ses racines à la fin du XIXème siècle. À cette époque, le territoire actuel se trouvait sous la domination d’un Empire Ottoman en plein déclin, dans le contexte de l’affirmation des nationalismes européens. Dans la région, les nationalismes arabes s’exacerbent progressivement quand, à l’échelle européenne, un mouvement sioniste s’organise à travers la création de l’Organisation Sioniste Mondiale, dont le projet est de créer un foyer juif en Palestine, région historique de la Terre d’Israël, berceau du peuple juif occupant une bonne place dans la Bible. Cela entraînera les premières vagues d’immigration juives dans la région. En 1916, suite à l’accord Sykes-Picot de partage du Proche-Orient avec la France, le Royaume-Uni se verra attribuer la Transjordanie et la Palestine Mandataire, qu’il gèrera par la suite avec un mandat de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU). Problème : en voulant ménager la chèvre et le chou (ou diviser pour mieux régner), les britanniques ont promis un royaume indépendant aux arabes et un foyer national aux juifs. La Société des Nations et la Grande-Bretagne règleront la question en donnant des terres aux uns et aux autres, sauf qu’entre les communautés juives et arabes, les tensions sont fortes. Ajouté à cela l’opposition à l’occupation britannique, autant dire que ça chauffe. En 1945, il est décidé d’accueillir les réfugiés juifs et les victimes de la Shoah sur le territoire palestinien. Le Royaume-Uni refuse et passe la main à l’ONU. En 1947, elle décide d’un plan de partage de la Palestine en trois : une zone juive (futur Israël, dont Ben Gourion va déclarer l’indépendance un an plus tard), une zone arabe (Cisjordanie, appelée communément Palestine) et un statut international pour Jérusalem. Évidemment, les conflits vont s’intensifier, d’une part entre Israël et ses voisins arabes, et entre juifs et arabes à l’intérieur du pays. Suite à la Guerre des Six-Jours en 1967, Israël va prendre le contrôle de la Cisjordanie, y implanter des colonies et annexer Jérusalem-Est (total : de nombreux pays ne reconnaissent toujours pas comme capitale de l’Etat d’Israël à ce jour). Il est loin le plan de partage de l’ONU, qui va adopter la résolution 242 le 22 novembre 1967 pour demander le retrait des forces armées des « territoires occupés ». Entretemps, Yasser Arafat crée l’Organisation de Libération de la Palestine en 1969, laquelle sera en conflit avec l’Etat d’Israël. En 1987 éclate la première Intifada (révolte palestinienne des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza contre Israël). Progressivement, un processus de paix sera mis en place. En 1993 une déclaration de principes en vue des Accords d’Oslo est signée à Washington par Yitzhak Rabin et Yasser Arafat se serrant la main sous le regard satisfait de Bill Clinton. Elle va instaurer une Autorité Palestinienne est installée sur la bande de Gaza et 3% de la Cisjordanie (10% depuis 1997), une grande partie du territoire restant sous le contrôle israélien, préalable à l’éventuelle création de deux États distincts. Sauf que les frontières claires ne sont fixées, et qu’il a suffi de déclarations ambigües, de désaccords sur le statut de Jérusalem, les réfugiés palestiniens ou la lutte contre le terrorisme, mais encore de l’assassinat du premier ministre israélien deux ans plus tard pour mettre un gros coup de frein à la question. Des sommets ont succédé aux sommets, Ariel Sharon est allé réaffirmer le contrôle israélien sur l’Esplanade des Mosquées, et boum, seconde Intifada. Depuis, les sommets ont succédé aux sommets, un plan de désengagement a été voté, mais entretemps, le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza, et Nethanyhaou le pouvoir en Israël, tout en poursuivant la colonisation et les échanges pacifiques (ironie quand tu nous tiens), bref, autant dire que l’heure est plutôt au regain de tensions qu’au processus de paix.


(Retour au film après ce bref intermède)



Tout est politique (ou presque)



Israël, c’est donc en gros un seul État aux frontières contestées et contestables pour deux pays, deux peuples qui cohabitent, ou plutôt pas du tout, dans le conflit et les tensions. À relire l’histoire du territoire, autant dire qu’on saisit mieux pourquoi juifs et arabes ne peuvent pas se voir en peinture… Ou presque. À l’instar de la réalité, le film souligne les paradoxes (pour ne pas dire les contradictions) auxquels se livrent les personnages.



De l’impact de la culture de masse



Tout démarre avec TLV On Fire la série, incarnation de la culture et des médias de masse comme objet politique. L’une des problématiques qui divise l’équipe de tournage consiste dans la fin à donner à la romance entre le soldat israélienne et l’espionne palestinienne. Cette dernière ne devait être initialement qu’éphémère : en dupant le soldat israélien pour arriver à ses fins, l’espionne palestinienne devait signer son arrêt de mort et une victoire de son camp. Mais négociation de sa fragile tranquillité oblige, Salam se retrouve à négocier des inflexions scénaristiques auprès de la production, non sans difficultés, ce en faveur du soldat condamné et d’une relation sentimentale avec l’espionne. Au départ mue par une optique exclusivement pro-palestinienne (et donc des fins politiques), la série va progressivement faire de l’impossible romance israélo-palestinienne sa raison d’être de la série, au grand dam de la scénariste qui quitte instantanément l’équipe. Peu à peu, les financeurs et la presse s’enflamment, crient au scandale, mais l’audience s’envole, et les téléspectateurs des deux camps se passionnent pour l’avenir d’un amour impossible à la Roméo et Juliette. Dire que TLV On Fire la série bascule dans le camp de l’ennemi est erroné, et bien que la victoire contre les israéliens en reste le fil conducteur, l’évolution de la narration suscite le débat et anticipe un final impossible à trancher, faute de solution unanime. Et pourquoi pas le mariage ? Non catégorique. Cela reviendrait à marquer une impossible réconciliation nationale, de surcroît plutôt malvenue et difficilement acceptable pour une partie du public. Dans un cadre de tensions accrues entre les deux camps, unir les destinées d’un juif et d’une arabe ne passe pas pour les décideurs. Tout est fait pour freiner des quatre fers comme l’on a freiné le processus de paix, bien que celui de TLV On Fire la série semble à moment donné inévitable dans sa symbolique. Mais ça, c’était avant les nombreux rebondissements finaux et les tours de passe-passe desquels les uns et les autres vont réussir à s’accommoder.


Art, culture, médias, ou autant de reflets de l’état d’une société et de la situation politique d’un territoire. Autant de vecteurs participant à l’élaboration et à la défense d’un discours politique. Avant TLV On Fire la série, combien d’œuvres, de textes, d’images, ont diffusé des messages, ouverts ou cachés, revendiqués ou destinés à être lus entre les lignes, à des fins politiques ? Combien sont porteurs d’une vision de la société aussi réductrice et orientée puisse-t-elle s’avérer ? On parle souvent de la vision stéréotypée et caricaturale diffusée par les productions Disney quant aux rapports de genre et de classe, à travers l’image d’une princesse très féminine, blanche, sauvée par son preux chevalier, fort et viril comme un homme. Clichés, clichés. Mais, inversement, les faibles y prennent souvent leur revanche sur les forts (Cendrillon ne la met-elle pas à l’envers de sa marâtre et de ses deux adorables demi-sœurs ?), et, doucement mais sûrement, Disney va remettre en cause une vision ethnocentrée et faire évoluer l’image de la femme que diffusent leurs films (Mulan ne transgresse-t-elle pas ainsi les interdits qu’on lui impose et les obstacles qui se dressent sur son chemin pour devenir une guerrière ?). Néanmoins, l’exemple le plus parlant, et duquel se sont directement inspirés les studios Disney pour produire nombre de leurs long-métrages, est à trouver dans la littérature, avec les Contes de Perrault. À priori destinés aux enfants (tout comme les films Disney), les contes se placent rapidement en rupture avec une lecture naïve et innocente dès lors qu’on franchit le cap de l’analyse. Place de la femme dans la société de l’époque, maltraitance des enfants, violence sociale exercée sur les faibles, esclavage, bon gouvernement, inceste, sexualité : autant de problématiques qui passent au scanner de Charles Perrault, écrivain philosophe et moralisateur dont les contes n’apparaissent soudainement plus si enfantins que cela. Oui, l’art est là pour faire état d’une situation contemporaine à sa création, aussi peu acceptable et très archaïque soit-elle avec le recul (du fait de la logique évolution de la société et des mentalités). Ainsi, l’écriture et le dessin des aventures de Tintin, l’enquêteur belge, et son fidèle compagnon Milou, sont empreints d’un contexte historique traversé par la colonisation (et notamment celle qu’exerçait la Belgique sur le Congo) et de préjugés racistes véhiculés par le colonisateur et imprégnés dans un imaginaire collectif. Hergé s’est d’ailleurs exprimé sur le sujet dans un ouvrage d’entretiens paru en 2003 : « Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l'époque : « Les Nègres sont de grands enfants… Heureusement pour eux que nous sommes là ! », etc. Et je les ai dessinés, ces Africains, d'après ces critères-là, dans le plus pur esprit paternaliste qui était celui de l'époque en Belgique. ». Enfin, les superproductions américaines et les blockbusters régulièrement produits par l’industrie hollywoodienne sont souvent présentés comme les symboles d’un État très portée sur le patriotisme, voire le nationalisme, n’ayant de cesse d’affirmer sa toute-puissance au niveau international et son statut de « King of The Wold » au sein d’un monde qu’il a imprégné de l’American Way of Life et ses pratiques sociétales et culturelles, au prisme notamment des œuvres cinématographiques (son industrie est le large leader du box-office mondial en termes de recette et de fréquentation : ses trente plus gros succès sont d’ailleurs américains). En la matière, on retrouve plusieurs classiques : lutte entre les colons européens et les populations indigènes autochtones, affirmation d’une politique impérialiste guidée par la représentation du « Bien » face aux puissances du « Mal », affirmation d’une puissance politique et militaire déterminante dans les conflits qui traversent le monde, relecture de la Destinée manifeste et de la mission divine « civilisatrice » des Etats-Unis… Parmi les films cultes à exprimer un angle de vue politique, on trouve par exemple Avatar, souvent présenté comme un blockbuster écologiste et anti-impérialiste, critique subreptice des irréversibles dégâts infligés à la Terre et des menaces pesant sur des peuples autochtones en voie de disparition et sur une biodiversité en danger, mais également de la guerre en Irak, ou encore Star Wars, mettant en scène l’opposition entre les forces du bien et celles du mal, ainsi qu’entre idéaux démocratiques et régime dictatorial dans le contexte de la guerre froide et peu après la guerre du Vietnam. Que dire de la très médiatique sortie de Black Panther, premier Marvel « noir » à avoir débarqué dans les salles alors que les acteurs de la diversité sont largement sous-représentés dans l’industrie cinématographique occidentale.


L’art, la culture et les médias sont donc les vecteurs de diffusion de l’état d’une société à un moment donné. Parfois, ils peuvent en être les précurseurs, anticipant et influençant son devenir, d’autres fois ils s’en font les révélateurs caricaturaux et clichés vis-à-vis de stupides normes auto-érigées. Le tout est qu’ils s’inscrivent notamment dans le présent. TLV On Fire pour sa part pose le paradoxe du discours et de sa réception à son acmé. Les juifs israéliens n’aiment pas les arabes palestiniens, et vice-versa. Et pourtant, ils sont des centaines de milliers à s’arrêter de vivre chaque soir pour s’émouvoir devant l’évolution de la romance entre le soldat et l’espionne pourtant produite par des palestiniens. Chacun des camps est représenté, tous deux sont réunis par l’amour. Le point de vue est pro-palestinien, le soldat israélien est largement tourné en dérision (le soldat sous les ordres d’Assi ne trouve-t-il pas que la série « antisémite » à son goût ?), mais les clivages vont se gommer et s’atténuer sans pour autant perdre de vue la ligne directrice de l’écriture. Mais il est bien connu que l’acceptation de la critique et de l’opposition est bien mieux acceptée lorsqu’elle se fait satire et humour : là est d’ailleurs son essence même, à savoir tout dire et rire de tout à condition que cela soit bien exécuté. Combien d’humoristes réussissent d’ailleurs à nous faire rires de sujets difficiles, voire trash, de l’horreur de ce monde, quand d’autres se fourvoient dans une vulgarité primaire et malvenue sur ces sujets ? Le rire n’est pas le moteur de TLV la série, mais cette dernière a beau être très critique vis-à-vis d’Israël et ils ont beau la qualifier parfois d’antisémite, pourtant les israéliens adorent, car il suffit de parler d’amour, gloire et beauté pour atténuer les tensions entre deux peuples le temps d’un épisode quotidien, et ainsi prendre de la distance avec un quotidien miné par le conflit.



Amis-ennemis au fil de la mélodie



Car c’est par le hasard que tout a commencé. Il a suffi que Salam tombe dans les méandres de sa naïveté et de sa douce stupidité pour rencontrer Assi, peut-être le personnage le le plus significatif des enjeux du film. Dès lors qu’il découvre que Salam est le « scénariste » de TLV On Fire la série, ce soldat, anti-palestinien primaire, le prendra au piège. Il jouera avec lui un jeu de chantage afin de lui soutirer des informations sur la série au départ, puis en collaborant activement à l’écriture, contre une assurance de tranquillité. Comme si la série formait un traité de paix fictif et tacite entre les deux protagonistes, mais à l’équilibre fragile. Tout au long du film, Assi incarne la contradiction constitutive de l’identité même de l’État d’Israël. D’un côté, il sera le soldat, l’oppresseur qui profitera de son identité israélienne et de son statut militaire pour s’adonner à de classiques abus de pouvoir : autoritarisme exacerbé, menaces, etc. Il n’aura de cesse de ramener Salam à son statut d’« inférieur » désigné, l’arabe abhorré et identifié comme un danger, et restera campé sur ses positions, comme inflexible. De par sa position, il laissera à craindre à ce dernier la mise à exécution de ses menaces et utilisera des procédés discutables pour arriver à ses fins. Mais d’un autre côté, en devenant co-auteur de l’ombre de la série, dont le soldat israélien est son double, il se laissera lui aussi prendre au jeu de l’écriture du scénario d’une série qu’il moque sous les yeux spectateurs de sa femme et de ses proches, mais à laquelle il deviendra addict. La série palestinienne deviendra un moyen de s’aventurer en dehors d’une réalité qu’il n’apprécie pas complètement, soulignant qu’il n’avait pas fait le choix d’être affecté à un check-point. Dans l’absurde feu de l’action, elle permettra même le développement d’une forme de sympathie et de complicité avec Salam, comme si les différends pouvaient être dépassés par des référentiels culturels communs, tout en les rappelant incessamment faute d’assomption de cette brèche ouverte dans la haine. Et pourtant, mieux vaut-il ne pas pécher par excès de naïveté, écueil qu’évite à la perfection TLV On Fire le film.


Les personnages sont le fruit d’une lourde histoire séculaire et traversés par un conflit actuel qu’ils vivent au quotidien. Si l’on pouvait prononcer soudainement une paix bilatérale grâce à une simple série, les formules magiques perdraient leur raison d’exister et leur fond de commerce. Sitôt les attentes scénaristiques du soldat non-comblées et Salam moins coopératif que d’ordinaire, les logiques de la géopolitique et de la détestation réciproque entre les communautés reprennent leurs droits. Chacun se toisera du haut de son appartenance identitaire et de son histoire. Quand Salam essaiera de prendre ses distances, Assi n’hésitera pas à lui confisquer sa carte d’identité pour continuer à recevoir des informations sur les prochains épisodes, et affirmer ainsi sa supériorité d’israélien sur un « rebut » palestinien. Inversement, brusqué par son oncle qui lui rappelle son statut d’héritier d’un passé fait de luttes pour l’indépendance et de résistance contre l’occupant, Salam rappellera un jour à Assi que lui-même est palestinien et l’autre israélien, tel un indépassable motif de mise à distance et de différenciation. C’est sur ce fil fragile que navigue en permanence TLV On Fire le film avec pertinence et intelligence.


D’autant plus, qu’à l’instar de la romance entre les deux tourtereaux de la série, la spirale dans laquelle se retrouve pris notre duo infernal semble dénuée de porte de sortie. Pour l’un comme pour l’autre, ce qui, au départ, devait n’être qu’une aventure passagère (pour l’un en guise de coopération forcée, pour l’autre un jeu destiné à mettre du piment dans son morne quotidien) deviendra un vecteur d’évolution et d’émancipation professionnelles et personnelles. D’une façon ou d’une autre, la relation paradoxale qu’entretiennent Salam et Assi, faite de chantage et de coopération forcée, teintée de méfiance et de déséquilibre, marquée par leur appartenance à leurs communautés respectives, mais en même temps relativement complice, sera forcée d’arriver jusqu’à son terme, au prix de nouveaux rebondissements et de solutions d’accommodement suffisamment acceptables pour les deux partis. Pour faire la paix impossible, rien de tel qu’une bonne télénovela à l’eau de rose ? Si l’amour et la fiction peuvent bien mettre de côté les haines pluriannuelles et les conflits le temps de quelques scènes, bien vite, la réalité reprend ses droits face à l’impossible, comme tristement résolue. Et pourtant…



Pour conclure…



Au fond, cent minutes durant, Tel-Aviv On Fire lie très judicieusement le destin du film et de la série, comme si de l’évolution des péripéties de la télénovela dépendait l’avenir du film et de ses personnages. Alors que la série n’avait initialement qu’un rôle passif de plus dans la vie de Salam, elle va devenir la condition de la trêve qui lui est offerte, mais surtout un moteur d’existence, lui qui était jusqu’alors sur la touche. Moteur, elle le sera également pour Assi qui, tout en restant campé sur ses positions anti-arabes et sa propre « supériorité », verra sa vie prendre une autre dynamique. Dans une optique plus globale, si le scénario, d’une grande intelligence et hilarant, permet d’ouvrir des brèches et de mettre en lumière les dissonances auxquelles sont confrontés deux peuples voisins et ennemis, il évite avec lucidité l’écueil de l’angélisme à travers une situation complexe et, hélas à ce jour, inextricable.

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le 21 avr. 2019

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