Télé gaucho par Patrick Braganti
Comme le projet foutraque et utopique des radios et télés libres, le nouveau film de Michel Leclerc est éparpillé et joyeusement bordélique, plein de bonnes intentions généreuses et naïves. Plutôt que s'intéresser à l'expérience tentée par une équipe disparate de joyeux drilles et de pasionarias radicales, le réalisateur se penche davantage sur la trajectoire du jeune Victor qui se rêve en grand cinéaste (le futur Truffaut) et devient le cameraman attitré de Télé Gaucho. Une trajectoire qui va le mener logiquement et implacablement du rêve naïf et touchant à la désillusion cinglante. Le film a le bon goût de ne pas verser ni dans le manichéisme ni l'angélisme. Ainsi l'ambitieuse animatrice d'un talk-show d'une chaine commerciale n'est-elle peut-être pas aussi stupide et cynique qu'on pourrait le penser. En dépit de l'énergie et de l'abattage des comédiens, le film souffre de n'être au final qu'un assemblage de vignettes composites et inégales. Tout ce qui touche à la vie de cette télé de quartier parait accessoire et daté, sans jamais atteindre l'insolence d'un Jean Yanne dans Tout le monde est beau, tout le monde est gentil. A la différence de son opus précédent, au sujet plus original, Michel Leclerc se disperse trop pour celui-ci. Seul le personnage de Victor (à qui Félix Moati offre une jolie candeur et une ingénuité attachante) est suffisamment approfondi tandis que les autres sont plutôt survolés. Néanmoins l'esprit libertaire et utopiste qui règne sur l'ensemble souffle assez pour le rendre attachant et sympathique. Sentiment renforcé par l'absence de jugement et le regard tendre et doucement nostalgique du réalisateur qui, pour avoir participé à une expérience similaire, sait parfaitement de quoi il parle. Une bande de gentils losers aux grands principes qui ne résistent pas toujours aux faits et aux réalités et qui seraient bie ennuyés si leur projet aboutissait. Mais, plus que dans l'évocation du passé, Michel Leclerc réussit à baliser le chemin de Victor, sans doute son alter ego, qui passe inexorablement de la folie et de l'inconscience à la raison et à la résignation. Dans ce triste constat, le film se révèle sans doute plus noir et plus profond.