De l'élasticité de la guimauve
Je suis d'accord avec la critique négative avec Winston ( http://www.senscritique.com/film/tempete-de-boulettes-geantes/1121254443190480/critique/winston/ ), sur la plupart de ses arguments (j'encourage donc tout le monde à la lire). Mais je pense qu'il y a encore bien d'autres choses à dire sur ce film, en sa faveur.
D'abord, il regorge d'idées certes à peine exploitées mais essentiellement géniales. Notamment :
- Mettre l'appareil à lire les pensées sur la tête d'un personnage qui a du mal à dire ce qu'il pense, parce qu'il est bourru : le père du personnage principal.
- Pousser la caricature des physionomies des personnages à un niveau tel que leur forme synthétique (la façon dont ils sont dessinnés) se rapporte souvent plutôt à leur tempérament (identifié par les dialogues) qu'à une physionomie humaine standardisée, et en fait de véritables pantins de silicone condamnés à gérer leurs reliefs comme ils peuvent ; exemple, quand il veut embrasser la fille, le héros gonfle sa bouche, et on se dit que c'est par espièglerie au début mais ensuite on réalise que c'est le seul moyen pour qu'il puisse approcher sa bouche d'elle étant donné que son nez (à lui) est trop ENORME !
- Mais cela s'applique également aux décors, dont la nature de synthése (des polygones 3D lisses) est raillée aussi souvent que possible, comme dans la scène de la cathédrale de gélatine avec ses statues antiques tout en gélatine : tout est trop lisse et trop bien fait pour tenir debout.
- Lorsque la machine/fusée emporte le héros dans sa course, elle dégueule des couleurs fantastiques, sans raison apparente, juste pour la beauté du geste, et c'est d'ailleurs valable pour tout le film, qui a le même goût que Speed Racer pour les couleurs flashy. Et pourtant, magré l'absence de raisons apparentes, comme c'est quelque chose de récurrent qui s'accentue avec la contamination du monde par le héros Flint, c'est comme si un grain de folie, l'imagination, était le ferment de cette ultra-coloration.
Ensuite, le traitement de la nourriture n'aurait jamais pu être le même dans un film en images réelles. En fait, le moteur de ce dessin animé c'est la confrontation du quotidien (le rapport hédoniste à la nourriture, celle qu'on donne aux enfants américains/occidentaux, celle qui fait rêver les moins gastronomes d'entre eux : hamburghers, spaghettis bolognaise, glaces, hot dogs, oeufs au bacon...) rapporté à la science. Tout à coup, comme l'a souligné Winston(sur SensCritique), la machine écoute votre menu et pour la programmer il faut être très précis : préciser la cuisson, le genre de saucisse, de sauce (Spaghettis(al dente)+saucetomate(salée&beurrée)...)... Tout à coup, la complexité de la science est rapportée à celle du choix dans un restaurant, voire même de la composition du menu idéal (suprême difficulté !). Quand vous pouvez tout avoir, choisir devient alors la chose la plus difficile au monde ! C'est dérisoire mais c'est pourtant ainsi : dans Tempête de boulettes géantes, la science est tout puissante parce qu'elle peut satisfaire les fantasmes de bouffe de tout le monde !
Il est évident que ce dessin animé ne se prend pas au sérieux. En images réelles, un tel gâchis de nourriture n'aurait jamais pu être minimisé, et la saleté également (les hamburgers qui touchent le sol deviendraient tout de suite immangeables... dans la réalité où les microbes existent), sans compter la dimension organique totalement absente : c'est ici le synthétique (polygones lisses modélisés à partir d'une idée que l'on se fait des choses) qui s'affranchit des caractères de la matière organique (le carbone et son impureté, qui assure la régression à un rapport animal/cosmiique à la nature), c'est donc le faux, l'artificiel, qui triomphe du naturel. Si c'était un manifeste politique, ce serait très dangereux : un manifeste pour des boissons aux couleurs plus fluo, des sandwichs plus lisses et plus ronds... Mais c'est un dessin animé et, s'apparentant au conte, c'est à dire ne cherchant surtout pas à représenter à la réalité (comme La Jeune Fille de l'eau : cf ma critique), il se donne comme une pure fantaisie, un rêve animé où les jouets en silicone se tirent les joues jusqu'à les faire claquer, dans une orgie de matières flasques et non salissantes en tous genre (non salissantes mais qui peuvent s'accrocher à vos chemises telles des baves d'extra-terrestres). Ce qui est esquissé ici est l'idée de la capacité d'étonnement/de candeur de l'homme, et pas du tout une quelconque réalité.
D'autre part, j'aurais en d'autres circonstances loué l'histoire du jeune scientifique dont le père n'est pas capable de soutenir son fils, de lui dire qu'il est fier... jusqu'à la fin du film où il y arrive (on pourrait s'identifier à ça). Mais tout d'abord, j'ai compris que dans la réalité ça n'arrive jamais (au fond, on sait très bien quand son père est fier de soi ; quand on attend qu'il le dise c'est parce que soi-même on a décidé de s'enfermer dans le regard des autres, de ne plus prendre de décisions par soi-même et pour soi-même). Et ensuite, ça ne colle pas avec le reste : c'est comme si le personnage le plus loufoque au monde avait jamais eu besoin de reconnaissance pour créer. Il serait faux de dire qu'il n'a fait tout ça que pour se faire remarquer. Comme avec la jeune stagiaire journaliste météorologue, le film montre qu'il faut décider et assumer ce qu'on aime. Le principal message de ce dessin animé, complètement dénué de réalité et qu'on admire pour cela, est donc le suivant : il faut pouvoir s'étonner et accepter que ses désirs prennent le pas sur tout le reste. D'où un film régulièrement capricieux dans tous les sens du terme : il aurait pu être meilleur mais il a à chaque fois les yeux plus gros que le ventre, il ne finit jamais sa gamelle ! Mais c'est aussi pour ça qu'on l'aime... Mince alors, est-ce que je bétifie...?
Je précise enfin, pour les amoureux des répliques hyper-cartoonesques délirantes (Kuzco l'empereur égocentrique, le génie d'Alladin aux imitations xénophobes, Roger Rabbit et ses facéties de clown libidineux et sarcastique, et les autres...), que Tempête de boulettes géantes est carrément brillant, dans un style absurde entre métaphysique et blagues peau de banane (voire scato), cependant mal traduit dans la VF (cf http://www.imdb.com/title/tt0844471/quotes ).