Poudovkine est un maître qui, dans l'histoire du cinéma, a le poids d'un Eisenstein. Mais comme il a un prénom imbittable, il est souvent oublié. La comparaison vaut ce qu'elle vaut mais ces deux géants du cinéma muet russe ont pas mal de points communs à commencer par un oeil incroyable pour filmer les visages (surtout ceux défigurés par la douleur) et un sens fantastique du rythme - et donc du montage. Ces deux là sont d'ailleurs souvent considérés comme les plus importants théoriciens du montage de leur temps, sinon de l'histoire.
En effet il faut voir l'invraisemblable et follement russe "Fièvre des échecs" (1925) pour le croire ou le final endiablé de ce "Tempête sur l'Asie" (1928) ! On s'en frotte encore les yeux.
Ici la coupe est musicale, tout est affaire de temps, de cadence. Aussi les moments les plus intenses sont pensés comme des opéras immenses et on sent comme un souffle épique nous chatouiller la nuque. Pourquoi la nuque ? Continuons.
Cette "Tempête sur l'Asie" est légèrement abracadabrantesque me direz-vous et vous n'aurez pas tort. Ça part plutôt sagement avec une scène de cohue nerveuse et vivante, noeud de la première partie. Le coeur du film en revanche est le plus faible. Un ventre mou aux rebonds scénaristiques douteux (l'ancêtre de Genghis Khan ?! Sérieux !?!) quelque part dans les steppes mongoles. Ça dure une bonne heure et un stage de formation chez Chantal Akerman n'est pas de trop.
Bref, l'ami Poudovkine s'offre, et peu importe le prétexte, un final grandiose qui fait date. Quelque chose comme une tornade Keatonniene (sans humour mais sans propagande malvenue), 20 minutes splendides qui lorgnent du côté des paysages de Dovjenko. Rien que pour cette merveille qui balaye quasiment tout qui s'est fait en 30 ans de muet, on pardonnera les errances précédentes et on fera en sorte d'apprendre une fois pour toute le prénom de ce génial et fou Vsevolod.