Ten Skies
7.5
Ten Skies

Documentaire de James Benning (2004)

Le dernier ciel s’ouvre dans une semi pénombre, on ne sait pas s’il s’agit du soir ou de l’aube. Mais le bleu s’en va, les nuages de la nuit prennent le pouvoir, les sons de la nuit aussi. Le ciel de jour devient ciel de nuit. Mieux, ce ciel saisi dans son accablante réalité devient pictural, une toile qui serait peinte au fusain. On ne voit bientôt plus le plan d’un ciel mais une peinture de ciel. Comme un océan dans l’obscurité, qui dévoilerait dans l’ombre ses ondulations, son ressac, immobiles. C’est Van Gogh qui croise Turner. Ce dernier plan m’a achevé. D’autant plus qu’il s’agit du plus « statique » à l’œil nu, celui qui semble s’étirer à l’infini pour lequel rien hormis la nuit semble perturber. C’est celui devant lequel on pourrait s’endormir, rêver, croiser le jour et la nuit, nuages et vagues, aube et tombée de la nuit, photo et peinture, vrai et faux puis se réveiller dans l’éternité. Mais c’est aussi l’un des seuls ciels où la présence humaine est mise entre parenthèses.


 Ten Skies c’est donc dix ciels, dix minutes chacun – Procédé similaire à celui opéré pour 13 Lakes, réalisé par James Benning la même année. Dans chacun de ces ciels l’Homme n’est jamais loin, au détour d’un bruit, d’une fumée, d’une trace. Un avion peut ici s’en aller sortir par la gauche du cadre de manière aussi fugitive et mystérieuse qu’on ne l’a pas vu entrer – Chez Benning chacun voit ce qu’il veut/peut voir donc le On a forcément valeur de Je. Un moment, une épaisse fumée de cheminée s’échappe violemment du bas du cadre, accompagné par un tonitruant bruit de machines – Une centrale nucléaire ? Le ciel est contaminé. Les gigantesques volutes emplissent le cadre, sans la pause qui créait le rythme de celle qui fermera plus tard Ruhr. Il n’y a d’autre bruit que le vacarme, d’autre image que cette terrifiante fumée blanche. Le ciel bleu au fond n’est plus qu’un souvenir.
C’est dans les ciels les plus neutres qu’on entend parfois des voix, discussions lointaines ou cris indistincts. Les plus impressionnants sont ceux entendu ici, dans la continuité de coups de feu qui se répètent sans cesse. Des cris d’enfants probablement, qui jouent à faire la guerre avec des pétards à moins que ce soit une véritable apocalypse qui surgit hors-champ. Le ciel, lui, est gris, figé, imperturbable et donc hyper angoissant, il participe à ce doute, ce jeu d’enfants ou cette odeur de jugement dernier. Un moment donné, le soleil creuse sa présence au travers d’épais nuages. Il veut se montrer, s’immiscer entre eux, c’est une bagarre. On décèle parmi cet amas informe la figure d’un ourson qui disparait aussitôt qu’il passe devant l’astre lumineux. L’ours s’est fait dévorer. Vengeance du soleil, éphémère, puisque peu à peu les nuages se noircissent, se durcissent. Le soleil à son tour s’est fait manger. Dix minutes pour tout transformer. C’est l’impression que laisse chacun de ces plans fixes qui paraissent parfois mobiles, l’image est remplacée par une autre en une fraction comme une éternité sans cesse renouvelée. C’est beau et terrifiant. Hypnotique et troublant.
JanosValuska
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste James Benning

Créée

le 19 déc. 2016

Critique lue 205 fois

1 j'aime

JanosValuska

Écrit par

Critique lue 205 fois

1

D'autres avis sur Ten Skies

Ten Skies
B-Lyndon
8

Vers le bleu

Un jour, James Benning a pris sa caméra, il l'a orienté vers le ciel, il l'a mis en route, a regardé ce qui se passait, l'à éteint, a reproduit cela dix fois - et tout cela à fait un film et toute la...

le 3 janv. 2015

10 j'aime

1

Ten Skies
molloy_
10

L'augure

"Cet autre espace du récit qui serait non pas un espace de représentation (à moins de prendre le mot dans son sens théâtral) mais de présentation, non pas l'espace d'une démonstration mais celui...

le 8 juin 2018

6 j'aime

Ten Skies
Samskeyti
6

Pour lever la tête maintenant faut un documentaire

Le ciel j'adore, c'est vraiment quelque chose que je pourrais contempler des heures en en retirant réellement quelque chose d'inspirant et de reposant. Du coup l'idée même d'un docu qui ne filmerait...

le 13 sept. 2015

3 j'aime

Du même critique

Titane
JanosValuska
5

The messy demon.

Quand Grave est sorti il y a quatre ans, ça m’avait enthousiasmé. Non pas que le film soit  parfait, loin de là, mais ça faisait tellement de bien de voir un premier film aussi intense...

le 24 juil. 2021

33 j'aime

5

La Maison des bois
JanosValuska
10

My childhood.

J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai...

le 21 nov. 2014

33 j'aime

5

Le Convoi de la peur
JanosValuska
10

Ensorcelés.

Il est certain que ce n’est pas le film qui me fera aimer Star Wars. Je n’ai jamais eu de grande estime pour la saga culte alors quand j’apprends que les deux films sont sortis en même temps en salle...

le 10 déc. 2013

28 j'aime

8