La relativité du temps et de l'approche du blockbuster contemporain

Il faudra un jour qu'on m'explique.


Car, sans doute, je ne comprends pas tout. Encore une une fois, soupirerez-vous.


Aujourd'hui, tout le monde s'accorde sur le fait que le blockbuster made in USA, c'est l'abomination ultime du vingt et unième siècle. Surtout quand il est estampillé Disney ou met en scène du super héros. Alors là, c'est Satan qui étend son emprise sur l'univers, comme dans South Park : Le Film.


Tout le monde s'accorde à dire que cette (mauvaise) image du blockbuster, c'est le degré zéro de la créativité. Que c'est l'exploitation ad nauseam d'une recette à la mode, d'une franchise, d'un comics. Que cela est enrobé d'un humour crétin et inconséquent, en forme de nouvelle lèpre. Que cela oblitère toute forme de talent, que cela met en scène, chaque seconde, de la CGI le plus souvent dégueulasse, et que le réalisateur est un yes man débarqué au profit d'équipes créatives et de producteurs stérilisés et interchangeables.


Le degré zéro, je vous dis. Et en plus, ça pourrit les boyaux de la tête... Et ça devrait être interdit, tout simplement.


Tout le monde réclame donc du blockbuster différent. Voire, soyons fou, original. Voire, internons-nous de manière volontaire à l'asile, un tout petit peu intelligent.


Film après film, Christopher Nolan a coché consciencieusement les cases. En imposant son propre univers et ses propres obsessions qu'il nourrit face au temps et à son approche ou sa représentation. Hormis sa prise en main du Caped Crusader, Nolan a opté pour une idée de scénario originale, ou une manière originale de raconter, dans le cas de Dunkerque.


Une réalisation qui use de l'effet spécial a minima, qui essaie de jouer sur autre chose que l'action pure et l' entertainment attendu. De ne pas prendre son public pour une courge et qui a pour ambition de cérébraliser un peu ses oeuvres dans une immersion constante touchant à la fois le raisonnement et le coeur.


Un peu l'antithèse de ce que tout le monde semble abhorrer aujourd'hui, me semble-t-il.


Sauf que la frange bon goût du public trouve (et trouvera) toujours à redire à chaque film de Nolan. Parce que quand même, ça reste de l'arrogant blockbuster ricain pas bien qui doit payer son origine, son lancement maousse et son approche. Qui doit payer ses ambitions côté spectacle (des gros mots, sans doute, et une preuve qu'il a pris le melon), la hype et les succès jugés illégitimes des précédents opus loués chez les deux de QI que constituent à tous les coups ses admirateurs.


On dira donc, systématiquement day one ou en avant première, car on aime décidément bien se faire du mal, que c'est de la bouillie conceptuelle. Que c'est inutilement alambiqué pour noyer le poisson d'un scénario faiblard. Pompeux. Que le réalisateur se prend excessivement au sérieux. Comme d'habitude...


Et en allant jusqu'à reprocher même à Christopher Nolan... L'aspect Nolanien de ses films.


Sérieux !?


Les critiques dont vous avez sans doute déjà été abreuvés de Tenet ne sont que la nouvelle expression de cette schizophrénie de l'approche du blockbuster contemporain.


Tout aura déjà été dit, donc. Dans des élans cartésiens qui vous persuaderont que le film ne passe pas ce crash-test.


Pourtant, c'est assez simple, Tenet, à la base. Si Nolan voulait émuler les sentiments éprouvés face à la découverte d'un James Bond, il hybride son rendu avec la grandeur de l'action des plus récents Mission : Impossible, décuplant ainsi les wahou ! et les moments où l'on reste collé au siège.


Le film est très simple à appréhender car il s'agit de énième chasse à l'artefact et de tenter d'arrêter un maniaque. Le tout en introduisant, goutte après goutte, l'élément conceptuel de l'inversion. D'abord avec un simple objet, puis à l'échelle de scènes d'action grandeur nature virtuoses, semblant prendre un malin plaisir à contredire les dossiers anti du genre "Nolan a-t-il un problème avec l'action ?" qui étaient lâchés à quelques jours de la sortie du film. Comme si les jeux temporels dopaient sa mise en scène jugée déficiente sur cet aspect.


Et peu à peu, tout se brouille. Tout, a priori, se complique.


Et s'il n'est peut être pas sûr qu'une fois remis en ordre, le dispositif tienne totalement debout, hé bien, figurez-vous que finalement, je n'en ai rien eu à faire.


Car Tenet est si prenant qu'il m'a emporté jusqu'au bout de son aventure.


Car Christopher Nolan semble si sûr de son fait qu'il n'a pu que m'entraîner dans son sillage. Intrigué par les ressorts qu'il me réservait. Fasciné par l'utilisation du temps qu'il déploie et le crescendo sur lequel le film est bâti. A l'affut des petits indices qu'il aurait laissés, des plans fugaces qui auraient constitué des clefs de compréhension de son high concept confinant à la représentation d'une danse du temps dans certaines scènes.


C'est peut être parfois embrouillé. Oui. Mais l'instinct, et un peu de logique ciné, permet de comprendre assez rapidement certains ressorts scénaristiques.


Et surtout, Nolan est un réalisateur formidable dans la mesure où même si j'ai été parfois un peu largué, je ne suis jamais sorti du film pour autant, au contraire. Car l'envie était là, car des bribes permettent de tenir bon malgré tout. Car on a toujours l'impression de comprendre, non pas au sens cartésien, mais dans le ressenti et le sentiment, on y revient.


Nolan a donc le don d'emmener la raison du spectateur ailleurs que sur le terrain de la raison pure. Vers l'émerveillement, vers le spectaculaire, vers le plaisir d'un lâcher prise et le goût de se perdre dans son labyrinthe, mettant donc en pratique l'argument d'un de ses meilleurs films, Le Prestige, tandis que Tenet pourra être vu comme un petit frère putatif d' Inception, dont il partage l'élément féminin grippant les mécanismes du personnage principal.


J'avais peur que Robert Pattinson ne vienne parasiter l'entreprise. Au contraire : il apparaît comme l'adaptation du réalisateur dans son propre film


revêtant le costume du grand ordonnateur.


De son côté, John David Washington, première composante du duo, tranche avec les héros habituels de Nolan dans un vent de fraîcheur bienvenu.


Et tandis que la musique formidable de Tenet résonne encore à mes oreilles, le sentiment de plaisir intense reste, intact. Ainsi que l'envie décuplée de se perdre à nouveau dans les méandres du temps, de brouiller les causes et les conséquences, pour tester, à nouveau, la force de ma suspension d'incrédulité.


Behind_the_Mask, future imperfect.

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