Christopher Nolan : Memento, Le Prestige, The Dark Knight, Interstellar, Dunkerque... Dois-je dire que j'ai adoré tous ces films ? Il y avait certes beaucoup d'action dans bon nombre d'entre eux, mais à chaque fois ils étaient dotés d'une dimension humaine, émotionnelle ou conceptuelle qui transcendait totalement ce qui aurait pu être un bête blockbuster.
J'avais un peu moins apprécié Inception en dépit de ses trouvailles visuelles. L'idée de départ, était belle, mais sans doute parce qu'à force de vouloir trop en faire, Nolan avait fini par tomber dans l'abscons, ce qui de mon point de vue diminuait la force du propos. Sans doute un premier symptôme du mal qui touche aujourd'hui Tenet.
Et justement, Tenet maintenant ? Mise en scène virtuose ? Certainement. Indigestion ? Absolument !
Tenet, c'est d'abord la victoire de trop : trop de rythme, trop d'informations, trop d'action, trop de musique (particulièrement bruyante, voire assourdissante...), trop de bruits d'armes automatiques et d'explosions.
Mais Tenet, c'est aussi victoire du pas assez : pas assez d'humanité, pas assez d'émotions, pas assez d'incarnation des personnages et disons le, pas assez de sens.
Tout le film s'apparente à un bombardement sensoriel effréné et le spectateur est comme volontairement soumis au stress par le réalisateur. Dès le départ, on a l'impression de se trouver dans un de ces préludes de James Bond uniquement destiné a en mettre plein la vue. Mais dans un vrai James Bond, on se laisse porter par les images, car disons le franchement, cette scène de départ, on s'en moque complètement, on comprend immédiatement qui sont les méchants et on sait d'avance qu'il n'a rien d'autre à en retenir.
Chez Nolan, on se dit que ce peut pas être que cela, alors on s'accroche aux bouts de dialogues prononcés sous un déluge de feu par des personnages dont on ne sait rien et dont on ignore le camp auquel ils appartiennent. Résultat, au bout de 10 minutes on perçoit qu'il doit y avoir un sens à tout cela mais les choses demeurent terriblement confuses.
On se rassure ensuite en supposant que ce n'est pas grave (on en a vu d'autres, surtout chez Nolan...) et que la suite va éclaircir tout cela, au moins dans une grande mesure. Mauvaise pioche: le film enchaîne à un rythme effrené et sans aucun temps mort d'autres scènes d'action. Visiblement le réalisateur ne veut pas perdre de temps (?!?!) en scènes de dialogues suffisamment longues pour éclairer les choses et surtout poser les personnages. Suite à une rencontre qui semble impromptue entre les deux "héros" interterprétés par le duo Washington-Pattinson, on apprend en 20 secondes chrono la situation que relie certains des différents personnages qui apparaîtront par la suite. Vous avez dit histoire expédiée ? Trop d'informations, trop vite, il sera impossible de tout mémoriser pour le commun des mortels. Pendant qu'on y est, on évoque aussi rapidement le "vrai" sujet, une guerre temporelle d'un nouveau genre basée sur l'inversion de l'écoulement du temps pour certains objets ou certaines personnes. Je n'en dis pas plus pour ne pas spoiler (mais est-ce vraiment possible de toute façon ?)
Tout le long du film, les deux personnages principaux, des agents de la CIA semble-t-il, vont batailler ferme, mais sans jamais prendre plus de consistence que des ombres chinoises. Le personnage joué par John David Washington, "le Protagoniste", n'a même pas de nom, c'est dire le peu de cas qu'en fait le réalisateur. Les dialogues entre les deux agents sont purement "fonctionnels" et on ne saura jamais rien d'eux. La seule chose qui rendra vaguement humain l'un des deux membres du duo, c'est que visiblement il tombe amoureux de la femme du trafiquant russe. Mais voilà, il ne l'exprimera jamais vraiment, et cela restera froid comme une donnée parmi d'autres de l'intrigue.
Pour être clair, ce n'est pas l'interprétation des deux acteurs qui est mauvaise, c'est juste qu'il n'ont pas grand chose à interpréter. Il en résulte néanmoins une telle impression de fadeur que cela pourrait presque nuire à la suite de leur carrière. Il en est heureusement un peu différent des deux seconds rôles tenus par Elisabeth Debicki et le toujours excellent (et ici très inquiétant...) Kenneth Branagh, lesquels parviennent à exprimer quelque chose dès lors qu'on leur laisse un scène de quelques minutes au milieu du bruit et de la fureur.
Bruit et fureur omniprésents, qui saturent l'esprit alors qu'on essaie péniblement de remettre un sens dans ce que l'on voit, que l'on tente rétroactivement de trouver le point de départ d'actions au visuel et à la causalité inversés qui caractérisent certains passages, de comprendre le pourquoi des scènes disséminées dans le film et qui finissent par s'imbriquer. Au bout d'un moment qui survient finalement assez vite, on est fatigué et frustré par cette impression d'être constamment largués dans une histoire de temps en marche arrière qui paradoxalement s'avère être une fuite en avant scénaristique. Parfois on ne comprend même pas pourquoi les deux héros entreprennent telle ou telle action. A titre d'exemple, ce qui motive l'attaque du port franc d'Oslo est à assez obscur et la scène ne semble finalement exister que pour expliciter ce que l'on voit dans une des premières scènes du film (et que pour une fois, comme beaucoup de spectateurs, j'avais deviné dès le départ !)
J'ajoute que le rôle de certains personnages dans l'histoire, en particulier celui de Priya, est particulièrement trouble. Certains objecteront sans doute que c'est le propre des films d'espionnage auxquels Tenet s'apparente. Oui, mais dans ces films là, à un moment de l'histoire on comprend à quel camp appartient finalement le personnage, pourquoi et comment on s'est fait mener en bateau. Ici, on constate juste que les choses on changé entre le début et la fin du film... et c'est à peu près tout !
De ceux qui ont déclenché cette guerre, on ne sait finalement pas grand chose si ce n'est qu'ils n'ont pas du tout aimé qu'on leur lėgue un planète invivable. A aucun moment ils n'interviennent directement dans l'histoire mais on se dit assez vite que ce qu'ils veulent faire peut aussi revenir à scier la branche de l'évolution sur laquelle ils sont assis. Quant à la motivation de celui qui sert d'instrument à leur noir dessein, elle est à mon sens vraiment peu convaincante.
Je n'épiloguerai pas sur la fin, aussi dénuée d'émotions que finalement assez convenue compte tenu du délire que l'on vient de voir.
Sans doute trouve-t-on déjà des analyses du film que remettent du sens dans tous cela, analyses faites par des gens qui l'on visionné un grand nombre de fois, appuyé sans cesse sur pause pour prendre des notes, et déterminé leurs conclusions à l'issue de séances de brainstorming.
Personnellement je pense qu'aucun film ne devrait être fait avec une opacité telle qu'elle gâche le plaisir de tout spectateur un tant soit peu rationnel. Qu'une histoire laisse des zones d'ombres, une fin ouverte, très bien. Qu'une histoire ne laisse aucune chance au spectateur de s'y retrouver un tant soit peu, j'appelle ça un scénario totalement raté. Et je ne comprends vraiment pas du tout l'intérêt de l'enchaînement ultra rapide des scènes. Y a-t-il vraiment un problème à poser une histoire et des personnages quand on dispose de 2h30 de film ? Un problème à laisser à ces derniers une chance de s'exprimer ? Traiter les acteurs comme de simples accessoires au service du scénario et de la mise en scène, les vider de tout contenu humain me semble vraiment une très mauvaise idée
D'ordinaire, je préfère critiquer les choses que j'aime, plutôt dans l'optique de partager un coup de coeur que d'être négatif, et par ailleurs, je suis ici un peu ennuyé parce qu'il s'agit du film d'un réalisateur que jusqu'à présent j'apprécie beaucoup. Quoi qu'il en soit, il m'est vraiment impossible de conseiller son dernier opus qui aux mieux ne peut être considéré que comme un exercice de style un peu vain visant à transformer certaines scènes en palindromes visuels. Il est vrai que ma déception est aussi grande que mon attente était forte, et qu'à mon avis avec un tel point de départ et de tels moyens, il aurait été possible de faire beaucoup mieux.