Si l’on excepte Piranha 2 : Les Tueurs Volants, qui a la fâcheuse (et légitime) réputation d’être un navet intersidéral que même James Cameron himself a renié du fait qu’il n’en n’avait pas le contrôle artistique total, le premier fait d’armes sur grand-écran de Big Jim (pas le mafioso hein...) se trouve être le premier volet de la saga Terminator, l’une de ces franchises aussi prestigieuses à leurs débuts que décadentes sur leur fin.

Sorti en 1984, The Terminator est le fruit d’un scénario écrit par Cameron sur les cendres de cette première et détestable expérience et inspiré (comme beaucoup de ses films) par ses rêves. Tourné pour 6 millions de dollars (ce qui n’est pas beaucoup, même en 1984) et produit par la seconde épouse du cinéaste Gale Anne Hurd, le film, qui à première vue avait le destin d’une modeste mais honorable série B comme il en pleuvait à l’époque, va se révéler être un grand film et marquer son époque ainsi que la pop-culture et ce encore aujourd’hui.

I’ll Be Back

Le film raconte le voyage dans le temps d’un soldat dont la mission est de sauver une femme ciblée par ce cyborg invulnérable qu’est le Terminator, lui aussi jeté dans le passé et qui a pour tâche de la tuer avant qu’elle ne donne naissance au futur leader de la rébellion contre les machines du futur. C’est avec ce pitch en apparence simple mais efficace (et à l’époque original) que Cameron va ici commencer à cimenter sa légende et montrer qu’on pouvait rebondir très très haut, et ce malgré ce fâcheux départ qui porte le nom de Piranha 2.

D’une part, des effets spéciaux indéniablement de bonne facture signés Stan Winston, avec des prouesses pour tout ce qui tient du maquillage, des marionnettes et des moulages de l’antagoniste du film (la scène où le Terminator «s’opère» le bras et l’œil est encore culte aujourd’hui). Les animations en volume pour les scènes se déroulant dans le futur sont tout aussi honorables, n’ont pas trop vieilli et donnent au final à ce film un certain cachet et ce malgré son âge et son faible budget.

Partant d’une intrigue classique et linéaire mais desservie à son avantage par un montage fluide et un rythme incroyablement bien ficelé comme il aura l’habitude de faire à l’avenir, Cameron nous livre ici une vision intéressante et à bien des égards réaliste d’un futur gouverné par des machines qui nous fait nous questionner sur les dangers de l’émergence de l’intelligence artificielle. Cela paraît commun aujourd’hui mais rappelons nous que nous sommes en 1984 et pas tout à fait dans l’ère du numérique, ce qui va participer à faire de ce film et des thématiques qu’il propose un des modèles du genre par la suite.

Mais plus que ses idées, c’est surtout sa mise en scène qui va donner au film sa dimension mythique et son aura culte. Outre un sens remarquable du suspense et des moments de tension décuplant notre attachement pour les personnages et notre implication émotionnelle (avec en prime un double climax à la fin où la notion de «petit budget» semble disparaître), c’est l’esthétique du film qui marquera la rétine du spectateur. Froid, glauque et poisseux, The Terminator sent la sueur, le sang et les larmes, et rejoint par sa sombre esthétique la collection des œuvres de Dark SF de renom au cinéma aux côtés d’Alien et Blade Runner, et va poser par la même occasion avec ce dernier les bases de ce qui sera plus tard le cyberpunk, se posant ici comme un père spirituel des prochains Matrix ou encore Ghost in the Shell qui crèveront l’écran la décennie qui suivra.

La bande originale devenue culte (le thème principal est encore dans la tête de nombreux cinéphiles) signée Brad Fiedel renforce encore plus ce sentiment d’apocalypse proche et de fin du monde, cette froideur industrielle et cette prédominance de la machine qui prend le pas sur l’humain et le condamne à l’extinction.

Mais derrière cette vision cauchemardesque du futur que l’on peut observer dans le film et malgré la réputation de Cameron d’être ingérable et tyrannique avec ses frères humains travaillant avec lui (rappelons nous The Abuse), Terminator reste profondément humain, et ce grâce à de subtiles touches disséminées par ici et par là (Kyle Reese dans une vision du futur jouant l’espace d’un instant le jeu d’un enfant et contemplant ce dernier morceau d’humanité vivant qui reste, ou encore la relation qui se développe petit à petit entre Sarah Connor et son protecteur) qui font mouche.

Ce sont ces aspects qui font de Terminator bien plus qu’une série B de science-fiction, et Cameron, non content déjà de délivrer un classique de son genre, est aussi capable de raconter une histoire d’amour aussi tragique que passionnelle, aussi éphémère qu’éternelle car liant deux personnes de deux époques différentes, et naturellement, au vu du futur décrit dans le film, de deux mondes distincts. De par sa mise en scène éclectique, le jeune prodige d’alors filme aussi habilement un cyborg dézinguant une trentaine de policiers dans un commissariat, véritable exercice d’action dans la plus pure lignée d’un blockbuster hollywoodien de l’époque, qu’une scène d’amour intimiste, mélancolique, isolée dans cet océan de noirceur et de froideur qui rappelle que l’humanité n’est pas encore morte.

J’ai traversé le temps pour toi Sarah

Le casting y est également pour beaucoup, que ce soit Michael Biehn qui interprète impeccablement Kyle Reese ou encore Linda Hamilton dans l’un des deux rôles de sa vie (l’autre sera encore Sarah Connor, dans Le Jugement Dernier), portrait d’une femme comme seul notre cinéaste sait les faire, qui évoluera tout au long du film, passant de la fragile minette d’abord victime et en apparence faible face au cyborg implacable et au futur qu’il annonce, à une femme forte, indépendante et combative dont le dernier regard magnétique adressé à son ennemi introduira la guerrière qu’elle deviendra dans le second volet. Une évolution logique et subtile habilement menée par le réalisateur et sa finesse dans l’écriture de ses personnages. Sarah Connor s’autoproclamera d’ailleurs à un moment du film sans y croire forcément la «mère du futur», donnant à Cameron, jeune féministe en herbe, l’occasion de dresser pour la première fois de sa carrière (mais pas la dernière !) un portrait de femme forte et d’idéaliser non seulement le genre féminin, mais également la maternité, car c’est de par ce phénomène naturel qui nous paraît si anodin que naîtra l’espoir de toute la race humaine à venir.

Les choix scénaristiques de son film suivant et la nouvelle pierre que le cinéaste introduira dans la mythologie Alien (rappelons nous le combat qui opposera Ripley à la reine xénomorphe) n’y paraissent que plus logiques au vu de ce qu’il nous aura montré dans ce premier film.

On pourra noter aussi dans la distribution la présence de «gueules» que l’on retrouvera justement deux ans plus tard dans Aliens le Retour, comme le regretté Bill Paxton ou encore Lance Henriksen, qui marqueront la légende en mourant des mains d’un Terminator, d’un Predator et d’un Alien, soit trois des plus grandes icônes de la SF au cinéma.

Mais c’est avant tout la performance glaçante du chêne autrichien qui restera dans les mémoires des spectateurs. Increvable, inéluctable, Schwarzenegger parle peu, observe et ne trahit aucune émotion, il traverse le film tel un Boogeyman cybernétique, comme une version de Michael Myers venant du futur. Mutique, il n’a pas de mobile, ni vivant ni mort, juste fonctionnel. Les victimes ne font partie que d’un programme à exécuter pour lui, pas d’alternative donc, ni de négociations possibles : une tâche, un résultat.

C’est ici que l’on s’aperçoit que certains astres dans le ciel ont dû s’aligner, car s’il est évident que Schwarzy n’a jamais été un très grand acteur, sa collaboration avec Cameron sur ce film lui aura permis de transformer ses lacunes en forces, de faire de son éventail assez minimaliste d’émotions et d’expressions faciales un jeu d’acteur froid et glacial collant parfaitement au personnage interprété, et ainsi consolider sa légende. Il semblait évident que Schwarzenegger était né pour interpréter le T-800 et donner vie à ce nouveau personnage incontournable de la SF sur grand écran, personnage qui reprendra du service en 1991 dans une suite qui fera l’exploit d’être encore meilleure que son aîné.

Avec Terminator, James Cameron prouve qu’après les débuts catastrophiques qu’il a expérimenté et qui en auraient refroidis plus d’un, un nouveau génie est en train d’éclore à Hollywood, un genre de nouveau pape de l’entertainment qui va donner de nouvelles lettres de noblesse à la science-fiction, un cinéaste capable de pondre un film culte, un divertissement généreux, ainsi qu’une œuvre intelligente et maîtrisée possédant une véritable portée émotionnelle et transpirant d’humanité malgré les thèmes abordés, le tout avec un budget bien moins confortable que ses productions suivantes et un culturiste en tête d’affiche, ce qui tient presque du miracle.

Classique incontournable des années 1980 (époque qu’il s’amusera d’ailleurs à fantasmer, les synthés, la bande-son du TechNoir, les choucroutes sur la tête des filles, la mode...) mais également classique tout court, Terminator est aussi bien évidemment le mythe Schwarzenegger qui prend vie, et le véritable début d’une carrière monumentale et fascinante d’un homme né pour repousser les limites du cinéma.

Créée

le 12 janv. 2023

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Tom Bombadil

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